«Il ne faut plus s'attendre à grand-chose du voisin libyen sur le plan sécuritaire», déclare un expert militaire... En vertu de ses prérogatives, le président de la République Moncef Marzouki a promulgué, le 29 août dernier, un décret portant création d'une « zone tampon » dans le sud du pays, tout le long de la frontière avec l'Algérie et la Libye. Une mesure « à l'essai » pendant une année, mais renouvelable selon la présidence de la République : tout dépendra très certainement de l'évolution de la situation sécuritaire dans la région. Seulement, cette notion de « zone tampon » reste vague. D'autant plus qu'elle n'a jamais été mise en place en Tunisie, contrairement au cas de notre voisin algérien qui a déjà mobilisé entre 6.000 et 7.000 hommes pour lutter principalement contre une hémorragie de carburants de plus de 1.500.000 litres chaque année, et qui devient préjudiciable à son économie. Selon Fayçal Cherif, expert en stratégie militaire, le flou entretenu concernant l'étendue exacte de la « zone tampon » fait partie du jeu. Il explique que « les zones délimitées par l'armée peuvent être tenues secrètes de manière à ne pas être contournées par les contrebandiers et les groupes à combattre ». Tout d'abord, qu'est-ce qu'une « zone tampon » ? Selon notre expert, « c'est une zone ceinture de 15 à 20 kilomètres qui longe la frontière avec d'autres pays. La circulation des personnes et des marchandises s'y fait sous contrôle de l'armée ». Pourquoi le sud ? La réponse est évidemment que le gros du trafic illégal, notamment celui des armes, se passe dans cette région et, de façon beaucoup plus prononcée, à travers la frontière tuniso-libyenne. «C'est pratiquement la partie par laquelle transitent les armes et les marchandises de contrebande. En témoigne le dépôt découvert à Médenine et qui ne laisse aucun doute quant à la provenance des armes qui s'y trouvaient», explique Fayçal Cherif, avant d'ajouter que « le voisin libyen, contrairement à l'Algérie, a beaucoup de mal à contrôler son territoire, avec 25 millions de pièces d'armes en circulation et des camps d'entraînements présumés d'Al-Qaida dans les régions de Zenten et de Musrata ». La Libye a encore plus de mal à garder ses frontières, à en croire Fayçal Cherif. L'Etat libyen est quasi inexistant dans ces zones et, pour cette raison, « la Tunisie ne devrait pas attendre grand-chose de son voisin en matière de coopération sécuritaire et devrait gérer presque seule la question». Quels impacts collatéraux ? La décision présidentielle aura des implications sur le plan commercial. « Il faut savoir que la contrebande profite aux groupes armés, autant à travers le trafic d'armes en lui-même qu'à travers la quantité d'argent qu'il génère ». Pour l'expert militaire, la décision est appropriée, même si elle est venue en retard. Car elle comporte plusieurs avantages, dont les bienfaits seront perceptibles sur le marché après un à deux mois de mise en œuvre. « C'est une guerre contre la contrebande qui ne dit pas son nom, car l'armée fera également le travail de la douane, qui devient de moins en moins outillée pour faire face aux contrebandiers, employant, de leur côté, des moyens de plus en plus sophistiqués», précise Fayçal Cherif, qui pense par ailleurs que certains douaniers peuvent être influencés par des contreparties financières proposées par ces groupes. Le tourisme saharien est, quant à lui, hors de danger, car la zone tampon concerne pratiquement 15 à 20 kilomètres de distance des frontières, zone qui ne figure pas sur les circuits touristiques. Les retombées économiques seront perceptibles d'ici un ou deux mois, au fur et à mesure des coups de filet qui seront réalisés par l'armée nationale sur le terrain, mais aussi et surtout sur le marché parallèle, qui se verra privé d'approvisionnement. « Dans quelques mois, nous verrons si les choses vont bien, de moins en moins de vendeurs de carburant illégal, par exemple : son prix flambera, et c'est comme cela qu'on pourra juger de la réussite ou non de la décision », nous dit Fayçal Cherif. Mais, pour lui, même si la contrebande est maîtrisée au bout de quelques mois dans la zone frontalière du sud du pays, cela n'arrêtera pas la contrebande de marchandises, qui aura toujours pignon sur rue, comme c'est le cas dans le port de Radès: histoire de rappeler que le problème n'est pas uniquement dû à l'audace des trafiquants.