«Une pure aberration» ! C'est avec le ton narquois qu'on lui connaît que le Professeur Chedly Ayari a coupé court aux rumeurs selon lesquelles l'autorité monétaire aurait fait marcher la planche à billets pour venir en aide aux banques en manque de liquidités. S'exprimant vendredi sur la chaîne Wattania 1, le gouverneur de la BCT n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler la vocation et la mission de l'Institut d'émission, telles que clairement fixées et définies dans la loi 58-90 portant création et organisation de la Banque centrale de Tunisie. L'article 47 (bis) est, à cet égard, on ne peut plus catégorique. En vertu de cet article, «la Banque centrale ne peut accorder au Trésor des découverts ou des crédits ni acquérir directement des titres émis par l'Etat ». Sans doute et en vertu de l'article 35, la Banque centrale exerce, pour le compte de l'Etat, le privilège exclusif d'émettre sur le territoire de la République des billets de banque et des pièces de monnaie métalliques, mais, rappelle encore le gouverneur de la BCT, cette création monétaire ne peut se faire—et ne se fait pas—ex nihilo. Mais alors sur quoi se fondent les dernières rumeurs et qu'est- ce qui les a nourries? Chedly Ayari n'y est pas allé par quatre chemins. Le ton grave, il semble pointer du doigt tous ceux qui, sans même prendre la peine d'analyser les facteurs objectifs qui impactent la liquidité bancaire, prétendent que la BCT utilise la planche à billets au motif que le soutien financier de la Banque centrale au secteur bancaire est passé de 962 millions de dinars en décembre 2010 à 5 milliards de dinars en août 2013. Cette importante progression a de quoi interpeller plus d'un, reconnaît le gouverneur. Cependant, dit-il, une analyse des raisons objectives qui ont influé sur la liquidité bancaire, entre autres raisons, l'importante baisse des réserves en devises qui sont passées d'environ 13 milliards de dinars fin 2010 à environ 11,4 milliards de dinars actuellement, montre que nous sommes dans la logique des évolutions économiques et financières qu'a connues le pays depuis le 14 janvier 2011. Sachant que, insiste-t-il, au cours de la dernière période, les demandes des banques en liquidités ont en général été supérieures à ce qui leur a été octroyé par la Banque centrale. Manière de rappeler sans doute les termes de l'article 33 relatif à la mission principale de l'Institut d'émission : préserver la stabilité des prix et...soutenir une croissance non inflationniste. Un texte qui, à bien des égards, préfigurait déjà le principe de l'indépendance de la politique monétaire par rapport à la politique budgétaire. Des questions restent cependant en suspens. Comment financer le déficit budgétaire quand la politique monétaire a été poussée jusqu'à la limite du supportable et quand, surtout, le pays a été conduit dans une impasse financière ? Comment combler le déficit sans compromettre les perspectives de croissance et sans exacerber un peu plus les tensions inflationnistes ? Avec ce que cela aura comme incidences en termes de pouvoir d'achat et de...stabilité sociale. Forcer la porte de la Banque centrale et lui intimer l'ordre de faire marcher la planche à billets ? Face à l'impasse financière, la tentation est grande de faire marcher la planche à billets. Elle l'est d'autant plus que l'Etat a besoin de pas moins de 4 milliards de dinars pour boucler le budget de 2013. Et que la mobilisation de nouvelles sources de financement extérieur sera très difficile surtout après la toute récente publication du rapport de Davos, conjuguée à la dégradation, il y a quelques mois, de la note souveraine de la Tunisie par l'agence S&P. Mais cette tentation, cette facilité serait fatale. Elle est si terrifiante à envisager que nous partons du principe qu'elle ne peut survenir.