Faisant fi de la feuille de route, le chef du gouvernement s'accroche à ses propres conditions Finalement et après avoir tenu la Tunisie et les Tunisiens en haleine pendant près de 9 heures (de 11h à presque 20h), Ali Laârayedh a fini par dire : «Mon gouvernement s'engage à partir mais une fois que la Constitution sera adoptée, que la future loi électorale sera élaborée, que l'Isie sera installée et que la date des prochaines élections sera fixée». En plus clair, Laârayedh a refusé d'annoncer l'engagement de son gouvernement à démissionner, après trois semaines à partir de la journée du mercredi 23 octobre, date du démarrage effectif du Dialogue national. Allant encore plus loin, Ali Laârayedh souligne, en allusion aux pressions que subit son gouvernement : «Nous ne nous soumettons à personne. Nous nous soumettons uniquement à l'intérêt national. Le gouvernement continuera à assumer ses fonctions en matière de lutte contre le terrorisme et le crime, de relance de l'économie et de conduite des affaires du pays». Même son de cloche chez le président provisoire de la République. Quelques minutes après l'intervention télévisée de Laârayedh, Moncef Marzouki investit l'écran de la première chaîne nationale pour annoncer textuellement : «Le chef du gouvernement m'a assuré que le principe de la démission du gouvernement est irréversible, mais après le parachèvement de la Constitution et son adoption et l'installation de l'instance des élections. Une fois ces missions accomplies, je prendrai la décision, en ma qualité de président de la République, de charger une personnalité indépendante de former un gouvernement de compétences». Ainsi, pour Laârayedh et Marzouki, les choses sont claires et limpides comme l'eau de roche : le gouvernement actuel poursuivra ses missions (économique, sécuritaire et de développement) jusqu'à ce que le processus constituant soit achevé... Sous le signe de la division Comment se présentaient les choses au siège du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle où les participants au Dialogue national ainsi que les journalistes attendaient depuis 15h l'intervention de Laârayedh ? Tous étaient là, y compris Rached Ghannouchi et Ameur Laârayedh, représentants d'Ennahdha, «qui ne savaient pas ce que Laârayedh allait annoncer», comme le confie à La Presse l'un des participants au dialogue. Vers 18h30, ils ont pris leur courage à deux mains et ont décidé de rejoindre la salle des négociations. «Malheureusement, ajoute la même source, les discussions ont commencé dans une ambiance empreinte de dissensions et de tiraillements entre ceux qui exigent que Laârayadh annonce son départ ce soir (hier) à tout prix, d'une part, et ceux qui cherchent, d'autre part, à ménager une sortie honorable au gouvernement de manière à ce que sa démission ne soit ressentie comme le résultat de la pression de la rue, à la suite de la grande manifestation organisée par le Front du salut national». Les représentants d'Ennahdha, dont en premier lieu Ameur Laârayedh, déplorent, selon notre source, que «certains parmi les participants au dialogue recourent à un discours double et à un comportement incompréhensible». Pour le dirigeant nahdhoui, «il est inacceptable que Néjib Chebbi cherche une solution à caractère consensuel, alors que son frère Issam se barricade à La Kasbah devant le siège de la présidence du gouvernement et appelle à la démission immédiate de l'équipe de Laârayedh». L'opposition sur la voie de claquer la porte Et l'ambiance de virer clairement vers la colère et l'indignation immédiatement après la retransmission télévisée de l'allocution de Laârayedh. Lazhar Baly, président du parti El Amen, précise : «Les représentants de l'opposition trouvent que l'engagement de Laârayedh à démissionner n'a pas été franc. Ils se sont retirés pour se concerter et décider de l'éventualité de suspendre leur participation au Dialogue national. Personnellement, j'ai le sentiment qu'ils vont claquer la porte. Tout simplement parce qu'ils considèrent que les propos de Laârayedh ne comportent pas un engagement effectif à dynamiser la feuille de route du Quartet». Lazhar Baly insiste pour faire remarquer que «plusieurs partis n'ont pas compris que l'heure n'est plus aux surenchères et à la logique du vainqueur et du vaincu». La torpille Laârayedh a sans aucun doute mortellement frappé le Dialogue national.