Jadis, au temps des corsaires, les noms de Tabarka, Porto-Farina, Kélibia, Hammamet, Kerkenna, Djerba et surtout La Goulette revenaient souvent dans les chroniques maritimes. Bizerte s'était maintenu cependant jusqu'à la Révolution française dans des conditions bien modestes. A partir de cet évènement, la lutte que se livrèrent la France et l'Angleterre pour la maîtrise de la Méditerranée donna une importance croissante à ce port et à son arrière-pays. Très souvent, en effet, un bâtiment appartenant à l'une ou l'autre des nations rivales, profitant du relief de la côte, s'approche, mouille le plus près possible et se camoufle jusqu'au moment où apparaît un voilier ennemi chargé de marchandises. Alors, il court sur lui, l'arraisonne, l'aborde, le canonne ou l'éperonne et après un combat plus ou moins bref, mais d'une violence foudroyante, s'en empare et le traîne corps et biens jusqu'à Bizerte pour le vendre comme prise de guerre. Animée par les feux répétés des enchères, la petite ville se réveillait, se développait, participait à ce que tout le monde (victimes, bénéficiaires et consuls étrangers) considérait comme une opération commerciale parfaitement honnête. Décidée fermement à briser sa rivale, l'Angleterre donna l'ordre à ses escadres de stopper tout commerce avec la France, par tous les moyens. Cette mesure provoqua la riposte célèbre de Napoléon : le décret de Berlin du 21 novembre 1806 par lequel il interdisait aux vaisseaux neutres d'entrer dans les ports britanniques. L'Angleterre répliqua par des décrets ou «Ordres en conseil» interdisant aux vaisseaux neutres d'entrer dans les ports des nations alliées avec Napoléon ou dépendant de lui. Mais d'autre part, considérant la position-clé occupée par la Tunisie, elle assura le gouvernement de Tunis «qu'elle n'entendait pas mettre le moindre obstacle à la libre navigation des bâtiments portant pavillon tunisien quand bien même, dit le texte, ils seraient destinés pour les ports de France, ni les soumettre aux formalités exigées des neutres». De même, Napoléon ouvrit, à la même époque, le blocus continental aux vaisseaux tunisiens. Grâce à cette situation privilégiée, la Tunisie esquiva les contrecoups de cette guerre. Toutefois, elle subit plusieurs violations de ses eaux territoriales, mais elle obtint constamment des réparations et son prestige en était sans cesse augmenté. A ce sujet, les Bizertins se montraient particulièrement vigilants. La correspondance du chargé d'affaires espagnol, Arnoldo Soler, nous en donne pour 1809 une preuve significative : «Le 24 mai, dit-il, arriva à Bizerte une goélette américaine chargée de sucre, café, poivre, étain et toiles de Nankin venant de New York. Elle a été conduite ici par un chebèque corsaire français qui s'était basé pour la prendre sur la teneur du décret de Napoléon. Le 12 juin, le corsaire français sortit de Bizerte et rentra le 13 avec une autre goélette américaine chargée des mêmes marchandises que la première. Elle fut prise en vue de terre et pour le motif qu'elle avait fait escale à Cadix. Le consul des Etats-Unis demanda au bey d'envoyer immédiatement des ordres à Bizerte pour qu'on l'informât des circonstances de cette prise. Beaucoup de maures qui se trouvaient présents à l'affaire confirmèrent par leurs témoignages que le corsaire français avait violé la neutralité de la côte et remirent au bey une prestation le 23 juin». «En conséquence, dit-il pour conclure, le bey fit restituer la goélette américaine malgré la forte opposition du consul français». Enfin, dans sa lettre du 6 août 1809, Arnoldo Soler note le fait suivant : «Le bey s'est décidé à ne plus tolérer dans ses ports les corsaires français et a donné les ordres les plus énergiques pour que sous aucun prétexte on ne puisse y vendre les prises comprenant dans ses instructions la prise actuellement à Bizerte en sorte que le corsaire français doive la diriger sur quelque port français».