Débrayage des magistrats, aujourd'hui et demain, sur tout le territoire de la République. Un mouvement de protestation contre l'instrumentalisation politique de la justice par l'exécutif. Le SMT (Syndicat des magistrats tunisiens) s'est joint à l'AMT (Association des magistrats tunisiens) pour décréter hier une grève de deux jours, les 19 et 20 novembre. Cela «pour l'intérêt général de la justice et de la nécessité d'unifier et d'unir les rangs des magistrats en cette période cruciale où le pouvoir judiciaire subit une offensive contre son indépendance». Rappelons que le SMT a appelé, samedi dernier, à une grève de deux jours suite aux «graves développements annonciateurs d'une volonté d'assujettir le pouvoir judiciaire à l'exécutif». Cette grève a été maintenue malgré la rencontre entre le ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou, et le bureau exécutif de l'AMT. «Lors de cette rencontre, nous avons, relate Mme Raoudha Karafi, vice-présidente de l'AMT, exposé la situation de crise au ministre en lui réitérant notre refus de toute instrumentalisation politique du corps de la magistrature. Nous lui avons rappelé que le mouvement de grève du 7 novembre représente un signal fort, tant il a été suivi par tous les magistrats du pays, tous postes et grades confondus. Ce qui montre manifestement qu'il y a un vrai problème inhérent à la tutelle». Rencontre, hier, de l'AMT avec le ministre de la Justice Les doléances des magistrats sont claires, précise la vice-présidence de l'AMT : «Nous avons demandé au ministre le retrait et l'annulation des décrets-lois portant nomination, désignation et prolongation d'activités de magistrats, selon la loi 67 qui fait partie de l'ensemble des lois caduques héritées de l'ancien régime. Lois qui ont été normalement abrogées par la création de l'Ipoj (Instance provisoire de l'ordre judiciaire). Nous lui avons demandé, ainsi, d'être à l'écoute du corps des magistrats et de reconnaître les pleines attributions de l'Ipoj concernant les nominations, désignations et mutations ainsi que son pouvoir de proposition pour les postes de haute responsabilité judiciaire selon les critères de transparence, d'intégrité, de neutralité et d'indépendance. Le ministre s'est engagé, indique Mme Raoudha Karafi, à communiquer et à exposer la teneur de la rencontre et de nos doléances au chef du gouvernement provisoire Ali Laârayedh. La vice-présidente a tenu, enfin, à rappeler que «le chef du gouvernement a signé, comme par mépris pour les magistrats, les deux nominations de l'inspecteur général et de la présidente du Tribunal foncier, le 7 novembre, jour même de la grève des magistrats. Faisant fi, ainsi, des prérogatives de l'Ipoj et de son pouvoir de proposition pour ces fonctions-là». En fait, l'AMT estime que «ces nouvelles nominations directes ont pour but de changer la composition de l'Ipoj afin de mettre au pas la justice et d'influencer le pouvoir de décision de l'instance en faveur de l'exécutif, l'enjeu au niveau du système judiciaire réside justement dans les promotions et les mutations. Or, si celles-ci obéissent aux desiderata de l'exécutif et à des considérations politiques, elles ne peuvent que mettre en cause l'indépendance et la neutralité de la justice. C'est pourquoi nous disons non à ces nominations et manipulations contraires aux critères de transparence, de compétence, d'indépendance et d'intégrité auxquels obéit l'Ipoj pour toute mutation, promotion ou proposition de haute responsabilité». Un combat pour l'indépendance des magistrats Cette grève de deux jours du corps judiciaire, prévue sur l'ensemble du territoire, se veut un combat pour l'indépendance des magistrats et de la justice, contre la politisation des nominations des magistrats et l'empiètement de l'exécutif sur le pouvoir judiciaire. «Car selon les standards internationaux de l'indépendance de la justice, conclut Mme Raoudha Karafi, les nominations, désignations et prolongations pour les magistrats doivent se faire en dehors de la compétence des pouvoirs exécutif et législatif. D'autant que c'est par ce biais-là qu'a lieu l'instrumentalisation de la justice au profit de l'exécutif. Or si les pratiques de l'ancien régime continuent, c'est que ce gouvernement transitoire et provisoire ne veut pas d'une justice intègre et indépendante, obéissant à l'éthique professionnelle. La moralisation du pouvoir judiciaire est tributaire de l'indépendance de l'Ipoj, car les citoyens ont le droit d'avoir des magistrats nommés selon les critères internationaux de compétence, d'intégrité et de neutralité qui garantissent la liberté et l'indépendance de la justice». Cette grève se déroule avec la présence sur les lieux de travail et ne concerne pas les affaires urgentes, telles celles afférentes au terrorisme, aux audiences en référé, aux affaires de sursis à exécution, des constats et ordonnances à caractère urgent et des cas de fin de délai de garde à vue.