Ce témoignage historique a pour lui l'honnêteté d'un regard et une position stratégique assez irremplaçable... L'ouvrage est un succès de librairie et le propos n'est donc pas de le faire connaître au grand public. Il faut dire que «Habib Bourguiba Junior, notre histoire» a pour lui bien des arguments... C'est un livre témoignage qui est un double éclairage sur le passé politique de la Tunisie. Un passé politique qui déborde la période strictement bourguibienne, puisque le lecteur est amené à naviguer dans l'avant et dans l'après de cette période... Pourquoi double éclairage ? Parce que, avec ces entretiens conduits par le politologue Mohamed Kerrou, la dimension privée de la vie des Bourguiba n'est pas oubliée. Au contraire, on y recueille des détails qui nous ramènent à la dimension humaine. On baigne dans l'élément de la proximité. Mais, loin de céder à un quelconque voyeurisme, on est conduits par là à porter un regard plus juste et plus complet sur les événements qui ont marqué la vie publique de toute cette époque... Ce double éclairage – celui de la vie privée et celui de la vie politique – est donc un éclairage plus global, que peu de témoins pouvaient apporter. Pas seulement parce que celui qui parle est le fils unique du premier président de la République tunisienne, mais aussi et surtout parce que ce fils a pour lui une qualité, pas si courante en réalité : l'honnêteté dans le regard ! Le livre nous donne donc la possibilité de revisiter tout un pan de notre histoire à bord, pour ainsi dire, d'un regard qui est sans complaisance sur les personnes mais sans méchanceté non plus. On n'est pas aveuglés par des lectures sur les événements qui exprimeraient de la rancœur ou de la haine : l'homme se l'interdit. Ce n'est pas dans son éducation, pourrait-on dire... Même à l'égard de son père, on est étonné qu'un certain contentieux n'ait pas fait perdre à l'intéressé, ni sa lucidité ni sa tendresse filiale... Les reproches demeurent, mais dans la retenue : on fait la part des choses. Il s'agit bien sûr d'un ouvrage qui est à la fois d'histoire et de politique, mais il s'agit également d'un ouvrage qui comporte une dimension littéraire. Parce qu'il raconte un homme, en révèle des facettes secrètes et insoupçonnées. Y compris et surtout dans ses attitudes de pudeur, lorsqu'il refuse d'aborder tel sujet, qu'il juge lui appartenir à lui et à sa famille. Quoique, ayant dit cela, on n'en conclura pas que l'homme se soit fait avare de révélations... Il faut rendre hommage ici à la rencontre, celle du témoin avec celui qui le fait parler, grâce à laquelle on pénètre dans un espace où l'on découvre bien des choses sur l'enfance de Bourguiba Jr, ses relations privilégiées avec son oncle paternel, si Mahmoud, par exemple, mais surtout la place immense qu'a eue jusqu'au bout, dans sa vie, sa mère Mathilde, rebaptisée Moufida... Les passages qui évoquent ce passé rendent le personnage immédiatement attachant. On remerciera Mohamed Kerrou d'avoir eu l'intelligence de mener rapidement l'entretien sur ce terrain, et on remerciera aussi la littérature, qui a présidé à la réalisation de cette expérience, de nouer des relations vivantes avec des êtres, par le seul jeu des mots sur le papier. Ces appréciations ne sont pas l'aveu d'un parti pris en faveur d'une pensée particulière ni d'un courant. En ce contexte politique caractérisé par une certaine tendance au clanisme et à ses polémiques, tirer le texte de ce côté-là n'est pas la bonne façon de le servir. Mais il est clair dans le même temps que l'homme, c'est aussi des choix politiques. Bourguiba Jr avait les siens, mûris sans doute par une éducation de qualité, une intelligence incontestable et des fréquentations « stratégiques »... Il appartient cependant à chacun, en cette matière, de partager ou de ne pas le faire, selon son propre jugement. Habib Bourguiba Jr – Entretiens avec Mohamed Kerrou, Cérès éditions, 382 p