La Tunisie au 77e rang mondial avec un recul de 18 places et 8e à l'échelle arabe Dans tous les pays qui ont connu une révolution, la corruption croît pendant un certain temps, atteint un palier maximal puis revient à des niveaux supportables au fur et à mesure que le processus démocratique s'installe et que les institutions de l'Etat prennent place. C'est là un des trois scénarios possibles et, pour le moins qu'on puisse dire, le meilleur. Deux autres scénarios, moins évidents, existent et prévoient que, dans un cas, la courbe ascendante de la corruption débraye lentement à partir du palier maximal et le retour à « la normale » prend plus de temps que prévu; dans l'autre cas, le plus grave, la courbe reprend de la hauteur après avoir atteint le niveau maximum. L'expert international en matière de politiques et de stratégies de lutte contre la corruption, M. Kamel Ayadi, explique ce dernier scénario par l'émergence de nouvelles pratiques illicites sous la « bénédiction » de la révolution comme la contrebande, le trafic d'armes et de drogue, le blanchiment d'argent...Mais, également, par l'absence de mécanismes efficaces de contrôle et de structures capables de faire face à ces pratiques et de limiter la corruption subséquente comme les banques. « Les banques jouent un rôle capital dans la chasse à l'argent sale et au blanchiment d'argent; or, dans le cas de la Tunisie, les banques ne sont pas encore habilitées à faire ce travail », explique encore le président de la Commission internationale de lutte contre la corruption pour la région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, lors de la conférence de presse tenue hier à l'occasion de la Journée mondiale et nationale de lutte contre la corruption célébrée le 9 décembre de chaque année. Les affaires en justice, une petite partie de l'iceberg C'est sur la base d'un travail de synthèse à partir de 4 rapports internationaux (Transparency International, Index de l'autorité de la loi, transparence financière, baromètre de la corruption en fonction des secteurs) que l'expert, qui travaille sur le dossier de la corruption dans le monde depuis neuf ans, a pu élaborer un diagnostic exhaustif de la corruption en Tunisie. Selon le dernier rapport de Tranparency International publié le 3 décembre, la Tunisie se place au 77e rang mondial, accusant un recul de 18 places ; à l'échelle arabe, elle se trouve au 8ème rang sur 20 pays en lice. Mais pour l'expert, les notations internationales et les classements ne présentent qu'une idée de la corruption et non la réalité telle qu'elle est car la corruption est un phénomène « caché » et « les affaires qui tombent entre les mains de la justice ne sont que la face apparente de l'iceberg ». Les rapports internationaux sont élaborés sur la base de sondages d'opinion et d'enquêtes sur le terrain et non sur des données scientifiques, quantifiables et vérifiables. Si bien que l'évaluation de la corruption devient une simple perception du phénomène par les citoyens. A la lumière de cette perception, les Tunisiens considèrent le secteur de la police comme le plus corrompu (69% des interviewés), viennent ensuite les partis politiques (66%), l'appareil judiciaire (56%) et les médias (53%), responsables officiels (49%), Parlement (40%). « La seule amélioration est constatée au niveau de l'exécutif », affirme l'expert. D'où les quatre craintes de l'expert quant à la lutte contre la corruption en Tunisie : l'argent politique et le financement occulte des partis politiques, le financement des associations qui travaillent pour des partis, la contrebande et le blanchiment d'argent et leurs liens étroits avec le financement des partis et du terrorisme et l'inefficacité et l'insuffisance des lois et de la dénonciation dans la lutte contre la corruption. Les lois ne suffisent pas « La réussite du processus démocratique et l'instauration de la liberté d'expression ne suffisent pas à éradiquer la corruption, c'est le cas de l'Indonésie et du Liban par exemple. Par ailleurs, il y a une attirance naturelle entre l'argent du monde des affaires et le pouvoir politique, c'est pour cela que l'argent politique est difficile à cerner. On ne peut pas non plus lutter contre la corruption seulement en instituant des lois, l'éthique individuelle est également incontournable dans cette affaire. « Or, 65% des Tunisiens pensent ne pas avoir un rôle positif dans la lutte contre la corruption, c'est très inquiétant », estime Kamel Ayadi. L'expert tunisien est engagé actuellement avec une équipe relevant de l'Organisation internationale de la normalisation en vue d'élaborer une norme ISO de la corruption. La mise au point de cette norme entre dans le cadre de la mobilisation mondiale contre la corruption : «Dans le monde entier, des lois et des mesures draconiennes sont établies pour endiguer le phénomène de la corruption qui représente 20% du PIB de l'Afrique et qui, en termes de blanchiment d'argent, équivaut à mille milliards de dollars US », précise encore l'expert.