La revue fait un retour sur l'aventure architecturale post-indépendance, avec ses prolongements... Pour une fois, la revue Archibat, publication spécialisée dans l'aménagement de l'espace et la construction, a sacrifié la plupart de ses rubriques habituelles pour offrir au lecteur un numéro spécial sur «50 ans d'architecture en Tunisie». A travers les 100 pages de ce trentième numéro, défilent les projets, les bâtiments et les signatures d'architectes qui marquent encore le paysage urbain du nord au sud du pays. Le Lycée de Carthage de Marmey, le Collège de la Place du Leader de Zehrfuss et Kyriacopoulos, la Cité olympique des sports et le Palais de Carthage de Cacoub, les opérations Hafsia I et Hafsia II de l'Association de sauvegarde de la médina de Tunis, l'hôtel Tamarza Palace de Foued El Euch, Yasmine Hammamet de Tarak Ben Miled, l'aéroport d'Enfidha de Wassim Ben Mahmoud... Ce numéro spécial, traité avec beaucoup de soin et de rigueur, cherche probablement à inciter à la réflexion sur un demi-siècle d'architecture en Tunisie, à tirer des leçons du passé et à méditer sur les nouvelles tendances des années 2000. Et, si la revue situe la naissance de la modernité architecturale autour de l'année 1943, c'est parce que fut créé, à ce moment-là, le service d'architecture et d'urbanisme sous l'égide de Bernard Zehrfuss. Ce service regroupait des architectes tels que Jean Le Couteur, Jacques Marmey et Jason Kyriacopoulos. Ces derniers ont travaillé dans des conditions difficiles, marquées par un déficit de matériaux et de ressources financières suite à la Seconde Guerre mondiale. Ces contraintes les ont poussés à se dépasser et à inventer «une écriture épurée, d'une grande intelligence constructive, située entre l'exploitation intuitive de l'architecture traditionnelle et l'expérimentation d'une modernité transgressant les recettes et les dogmes», écrit l'architecte Houneida Dhouib. Ils couvrent le territoire tunisien d'écoles, lycées, dispensaires abandonnant par économie le décoratif. Nommé architecte de la présidence de la République, Olivier Clément Cacoub met son empreinte sur divers bâtiments officiels de la Tunisie post-indépendance. Il dessinera selon un «style international» la cité universitaire, l'immeuble l'Africa, la Maison du parti du Néo-destour, le palais de Skanes... Entre les années 70 et 90, la course à la modernité se poursuit à travers les bâtiments officiels. Parallèlement, comme le relève l'architecte Denis Lesage : «Le tourisme, en pleine expansion, fonctionnait comme un laboratoire d'expérimentation de formes architecturales, de décors intérieurs et de matériaux. La créativité des architectes s'y exprimait aussi bien dans la modernité que dans la citation du patrimoine». Le patrimoine récupère un intérêt et une attention perdus, y compris au détour des façades des villas. Et on commence à évoquer le «cachet tunisien» : «Jamais discuté, jamais explicité, qui renouait avec le concept «d'authenticité» des années 70», ajoute Denis Lesage. Beaucoup d'éclectisme et d'extraversion imprègne les quartiers récents des Berges du Lac et d'Ennasr. Est-ce l'impact de l'utilisation de l'ordinateur dans la conception des projets ?, s'interroge la revue. Un numéro riche et passionnant, qui nous pousse à scruter la ville différemment, en mettant en perspective tous les styles et tendances l'ayant prise pour champ d'expérimentation mais aussi d'idéologie et de propagande officielle.