Eclairage sur la Shâdhiliyya ifriqienne, à travers l'hagiographie d‘Abd al-Wahhâb al-Mzûghî... Après Â'isha al-Mannûbiyya, dite la sainte de Tunis, l'historienne et professeur à l'université de la Manouba Nelly Amri nous invite à considérer une figure importante du soufisme ifrîqiyen. Il s'agit en même temps d'un personnage très peu connu du soufisme dans le Maghreb médiéval, au sujet duquel il n'y a d'ailleurs presque pas de travaux de recherches. C'est dire l'éclairage qu'apporte Nelly Amri à travers son dernier livre « Un manuel ifrîqiyen d'adab soufi », paru récemment aux éditions Contraste, et qu'elle a présenté vendredi dernier à la librairie Mille feuilles à la Marsa. La date et le lieu de naissance de Mzûghî sont inconnus, mais il est décédé en 1276. C'est un disciple direct et l'un des quarante compagnons d'Abû l-Hassan al-Shâdhilî, maître soufi dont l'ordre porte le nom. Nelly Amri a découvert une hagiographie de Mzûghî pendant sa préparation d'une thèse de doctorat sur le soufisme en Ifrîqiya à l'époque hafside. Dans l'avant-propos de son livre, elle explique qu' «elle fut tout de suite saisie par l'originalité de l'œuvre, par rapport aux autres productions hagiographiques de l'époque hafside». Elle s'est promis de revenir un jour à ce texte qu'elle considère comme un manuel d'adab soufi de l'Ifrîqiya médiévale... Le mot « adab » pouvant être traduit ici par « savoir-vivre ». L'occasion s'étant présentée en 2011, elle édite aujourd'hui son ouvrage en deux grandes parties. La première tente de restituer les hagiographies (manâqib) de la tradition Shâdhiliyya, en essayant d'identifier ses réseaux de disciples. Elle s'intéresse également aux propos de Mzûghî, qui s'appuient dans l'hagiographie sur ceux de Shâdhilî, mais aussi sur ceux de grands maîtres du soufisme oriental, d'où leur importance. A la fin de la première partie, Nelly Amri se focalise sur la parenté profonde entre la Shâdhiliyya et les gens du blâme, les Malamatis, avant de passer à la deuxième partie où elle propose une traduction et une critique de 75 paroles de sagesse d'Abd al-Wahhâb al-Mzûghî, suivies du texte arabe tel qu'il est dans l'hagiographie. Dans cet ouvrage de 240 pages, Nelly Amri explique généreusement, dans l'introduction, ses motivations et sa manière de procéder. Il en a été de même pendant la présentation de vendredi dernier où elle a, entre autres, répondu à la question « Pourquoi Mzûghî et son hagiographie ?» Ce texte est, selon elle, la plus ancienne tentative en Ifrîqiya de codification de la relation maître-disciple : le samaâ, la ziyara, adab al moujalassa). En plus, la plupart des travaux de recherche se sont intéressés aux relais égyptiens de la Shâdhiliyya, à travers Abû l-‘Abbâs al-Mursî et Ibn ‘Atâ' Allâh al-Iskandarî, mais se sont très peu occupés de la branche ifrîqiyenne, qui est l'origine de cet ordre soufi, et dont la majorité des disciples (les quarante compagnons) sont restés à Tunis. «Un manuel ifrîqiyen d'adab soufi», de Nelly Amri, tente également de dresser une biographie de Cheikh Mzûghî, en se posant la question de savoir si l'on peut arracher une biographie à l'hagiographie. L'enquête qu'elle mène sur ce texte médiéval part de plusieurs autres questions, comme celle sur son origine : «Ce texte ne serait-il pas, en fait, une œuvre anonyme» ? Ou encore sur la trace et l'endroit exact du mausolée de Mzûghî. La réponse est dans le livre.