INFOTUNISIE – «Le soufisme en Ifriqiya à l'époque médiévale» est le nouveau livre de l'historienne et universitaire tuniso-libanaise, Nelly Salameh Amri, paru aux Editions Contraste. A travers ce livre, la spécialiste du soufisme tunisien et maghrébin offre à ses lecteurs un retour aux origines du soufisme en Tunisie dans son âge d'or allant du 9ème au 15ème siècle où la Tunisie et notamment Tunis fut la capitale par excellence du soufisme musulman. Le pays aux innombrables «saints» voire même «saintes» formait un point de rencontre pour les soufis de l'époque venant aussi bien du Machrek que du Maghreb englobant à l'époque l'Andalousie et tout l'Occident musulman. Composé de 6 chapitres, le livre dresse les contours de la vie spirituelle en Tunisie en commençant par un préliminaire conceptuel afin de cerner la polysémie du «soufisme» et de la «Walaya» qui se croisent tout en étant distincts. Les références coraniques, exégétiques et doctrinales fusent dans le livre pour mieux cerner les concepts. En les explorant, l'auteur va dans les profondeurs pour en extraire une spécificité maghrébine et tunisienne du «soufisme» et de la «Walaya». La période Hafside est d'une importance cardinale pour Nelly Amri, puisqu'elle coïncide avec l'apparition de la première génération d'hagiographie en Ifriqiya, marquée par des livres d'Ibn Al Gabsi, Al Malki, Al Tjibi, Al Ajdabi et bien d'autres. Tout en s'arrêtant sur la spécificité de certaines écoles comme l'école de Kairouan, du Sahel, du Sud et de «Tunis la protégée» (Touness Al Mahroussa), l'écrivain met la lumière sur les lieux des pratiques soufis à l'instar des Ribat, des mosquées, des montagnes et endroits surélevés… La dimension politique est tout aussi importante au regard de l'écrivain que la dimension spirituelle et sociale des soufis. C'est ainsi que Mehrez Ibn Khalaf, «sultan de la médina» come aiment l'appeler les gens de Tunis, représente une nouvelle posture soufis, puisqu'il intervient dans le cours des événements politiques et qu'il interpelle les décideurs de l'époque. Al Moez Ibn Badis n'a-t-il pas envoyé à ce dernier une lettre apologétique en l'an 1026 ! Ainsi, c'est le soufi leader qui apparaît pour la première fois en Ifriqiya. Nelly Amri s'arrête longuement sur le rapport entre les soufis et la société, un rapport vacillant entre le «retrait» (Al Inkitaâ) et la proximité voire même la mise au service de la société d'un pouvoir surnaturel… Elle s'arrête également sur le rapport tantôt négationniste tantôt complémentaire entre les jurisconsultes (Foquaha) et les soufis. Quelques uns des juristes furent en même temps des soufis confirmés de la même façon que des «waly» se distinguèrent par une érudition théologico-juridique, surtout que les grands maitres du malékisme en Tunisie à l'instar de Sahnoun, reliaient fortement la science à la spiritualité. Le fils de Sahnoun n'est-il pas sorti de Kairouan pour vaquer à la prière ! La période ante-hafside est minutieusement étudiée dans le livre avant de plonger dans la «carte» du soufisme ifriqyien à l'époque hafside. Carrefour des «Waly» et des «soufis», ainsi que de leurs disciples, la Tunisie hafside a pu offrir au monde musulman une «mixture» de tous les courants du soufisme à la fois bagdadi avec le fameux héritage de Halladj, andalou, Constantinoi, bédouin… sans compter les mouvements Jilani, malamati, rifaâi et bien évidemment le courant de «Tunis la protégée» (touness al mahroussa) avec les Chedhily, les madini et les andalous. L'avant-dernier chapitre, intitulé «Majmaâ Al bahrayn» (la rencontre des deux océans), comme en bon langage soufi, propose une synthèse de la spécificité du soufisme ifriqiyen qui se décline en trois dimensions éthiques, spirituelles et cognitives. Nelly Amri, spécialiste en la matière, et qui a en son actif, cinq livres publiés sur le soufisme en général et celui du Maghreb et de la Tunisie en particulier, en arabe et en français, clôture son dernier livre par l'épineuse question de la «tariqua» (la voie). Elle présente dans ce dernier chapitre le rapport entre maitres et disciples, l'itinéraire initiatique et son langage «ésotérique» particulier allant de la poignée de main au retrait de 40 jours, de l'allégeance à l'habit déchiré tout en passant par la valeur cardinale de l'écoute et du «dhikr»… Avec «le soufisme en Ifriqiya à l'époque médiévale» du 9ème au 15ème siècle, Nélly Amri nous offre un « maitre livre » venant consolider sa notoriété en la matière. Une matière encore riche de découvertes intarissables puisque portée dans les cœurs et les esprits et non seulement dans les pierres et les édifices… Car comme disait Chahrastani « l'éphémère n'épuise guère l'éternel »…