La place politique frémit. Mais elle frémit mal. Elle étale les navrantes limites d'une classe politique improvisée à l'issue d'une révolution où elle n'a guère joué de rôle, si infime soit-il La place politique bouge. Elle semble frémir après une période de léthargie. Les scissions et redéploiements d'envergure s'y succèdent. C'est que tout le monde se fixe sur la dernière ligne droite avant les prochaines élections. Les deux principaux partis politiques de la place cogitent. C'est le branle-bas dans l'état-major, le ban et l'arrière-ban. Sans oublier les alliés et les satellites. D'abord, le mouvement Ennahdha. A l'issue de deux gouvernements démissionnaires de la Troïka, on fait les décomptes en termes de pertes et profits. Ou plutôt le décompte des pertes davantage que des profits. On ne ressort pas indemne d'un premier exercice du pouvoir, deux années durant. Deux mandats ayant tourné casaque, puisque finis en queue de poisson, les deux gouvernements de la Troïka ayant été contraints à démissionner. Et puis, il y a le contexte international. Après une première poussée spectaculaire à l'issue dudit Printemps arabe, les islamistes sont en perte de vitesse, un peu partout. En Syrie, les groupuscules islamistes armés suscitent peur, frayeurs et aversion. Tant ils s'ingénient à redoubler d'horreur dans le registre de la folie meurtrière. Leurs alliés occidentaux, israélien, turc, saoudien et qatari battent de l'aile. En Egypte, après avoir été destitués du pouvoir qu'ils ont occupé à la poigne, les Frères musulmans piquent tête en avant dans le terrorisme. Les islamistes du Soudan ont divisé le pays. Et les deux Soudan menacent chacun de se subdiviser en deux ou trois Etats antagoniques. En Libye, les milices islamistes n'en finissent pas de plonger le pays dans les affres des violences multiformes, les tueries à grande échelle et les dangers réels de la partition. Au Maroc et en Turquie, les islamistes au pouvoir piétinent. Ennahdha sait par ailleurs qu'elle a perdu la bataille morale auprès d'une grande partie de l'opinion tunisienne. Celle-là même qui a voté le 23 octobre 2011 pour ceux qui «craignent Dieu». Ceux-ci ont tôt fait d'être pervertis par l'amour du pouvoir, le goût du lucre et l'accaparement des privilèges. A Montplaisir, on discute ferme. Sans que cela soit très visible. Les options et le profil campés ces deux dernières années sont débattus. Le bilan des alliances avec le CPR et Etrakattol aussi. Les uns contestent, d'autres prônent le changement dans la continuité. Dans tous les cas de figure, Ennahdha ne sera plus la même. Ni ses alliés privilégiés, assurément. Nida Tounes, lui, recrute à tout bout de champ. Outre les nouveaux adhérents, des personnalités d'envergure ont rejoint ses rangs il y a peu. Ainsi en est-il de Touhami Abdouli, qui rejoint l'Union pour la Tunisie chapeautée par Nida, Mohamed Ennaceur, Omar Shabou et son mouvement qui fusionnent avec Nida ou Néji Jalloul. En même temps, les dissensions avec le parti Al- Joumhouri de Néjib Chebbi semblent devoir atteindre sous peu le point de non-retour. Al-Joumhouri a déjà quitté l'Union pour la Tunisie et aurait même été écarté du Front du Salut d'une manière pour le moins indélicate. Entre-temps, les partisans du mouvement Afek ont claqué la porte d'Al-Joumhouri, après en avoir été les cofondateurs. Le Front populaire, lui, se maintient compact dans son rôle de troisième force politique de la place. Cependant, des nuages planent sur son alliance électorale future avec Nida Tounes, même si les deux formations se rencontrent encore sous le préau du Front du salut. Les autres partis s'affairent. Les uns veulent rejoindre l'Union pour la Tunisie, d'autres courtisent Ennahdha, en vue d'en être les alliés, et pourquoi pas les prête-noms, lors des prochaines élections. Les petites formations s'affichent volontiers satellites, instrumentalisables à merci. Et puis il y a les électrons libres. Nombre de personnes courent depuis quelques semaines les plateaux et s'improvisent plus royalistes que le roi et plus catholiques que le pape. Objectif, attirer l'attention, se faire l'avocat du diable au besoin, et glaner une place au soleil. Ceux qui font de la surenchère religieuse pour gagner les faveurs du mouvement Ennahdha s'y distinguent par leur excès de zèle on ne peut plus ostentatoire. Quoique à des degrés moindres, on observe la même attitude vis-à-vis d'autres formations politiques. En somme, c'est une espèce de souk où tout s'achète et tout se vend. Et où d'aucuns n'hésitent pas à rallier le plus offrant. La place politique frémit. Mais elle frémit mal. Elle étale les navrantes limites d'une classe politique improvisée à l'issue d'une révolution où elle n'a guère joué de rôle, si infime soit-il.