Les avocats protestent contre l'arrestation de leur collègue Me Fatma Mejri. Les magistrats se défendent, soutenant que personne n'est au-dessus de la loi Décidément, les relations entre les avocats et les juges sont entrées dans une spirale de tension permanente et de conflits à n'en plus finir. Pas plus tard qu'hier, le Palais de Justice a vécu des événements le moins qu'on puisse dire indignes de l'institution judiciaire avec ses deux composantes fondamentales, à savoir les avocats et les magistrats. L'affaire a, en effet, éclaté avec le mandat de dépôt lancé, jeudi dernier, à l'encontre de l'avocate Fatma Mejri, accusée d'arnaque par l'une de ses clientes. Les avocats défendant leur collègue estiment que le mandat de dépôt n'a pas obéi aux procédures d'usage, plus particulièrement la notification devant être adressée au responsable de la section régionale de Tunis de l'Ordre des avocats. Le juge d'instruction chargé de l'affaire, Mounir Ben Saïd, connu pour être le magistrat qui s'est déplacé ces derniers temps au domicile de Kamel Letaïef pour l'interroger devant des caméras d'Al Jazira, aurait également omis, selon les avocats de la défense, «d'alerter le procureur général avant de décider de faire arrêter l'avocate Fatma Mejri». Résultat : une ambiance de tension extrême, hier, au Palais de Justice, à l'occasion de l'examen par le même juge de la demande de libération de l'avocate Fatma Mejri qui aurait exprimé son engagement, aux dires de ses avocats, à résoudre le problème avec sa cliente. Une tension qui n'a pas lieu d'être Pour en savoir plus et éclairer l'opinion sur les véritables circonstances de l'affaire, La Presse a sondé les réactions de la présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Raoudha Karafi, de la présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), Raoudha Laâbidi, et du président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim), Ahmed Rahmouni, ainsi que Me Ameur Maherzi, responsable de la section de Tunis de l'Ordre des avocats». Pour la présidente de l'AMT, «c'est une affaire qui n'a pas lieu d'être dans la mesure où les procédures ordinaires ont été respectées à la lettre et le magistrat en charge du dossier a informé le responsable de la section de Tunis de l'Ordre des avocats dans les délais légaux. L'AMT a décidé de tenir une réunion cet après-midi (hier) pour examiner l'affaire et prendre une position qui sera communiquée ultérieurement à l'opinion publique». De son côté, Raoudha Laâbidi exprime son étonnement «face aux réactions violentes des avocats bien que les procédures aient été appliquées à la lettre». «Au sein du syndicat, nous disposons des documents qui prouvent que le responsable de la section régionale de Tunis de l'Ordre des avocats a été informé à deux reprises, la première en date du 29 janvier dernier et la deuxième en date du 10 février de sa décision d'émettre un mandat de dépôt à l'encontre de l'avocate Fatma Mejri». La magistrate Raoudha Laâbidi poursuit : «Nous avons déjà rencontré le conseil de l'Ordre des avocats et je peux témoigner que ni le barreau ni les magistrats n'approuvent les événements qui se sont déroulés ce matin (hier) au Palais de Justice. D'ailleurs, nous allons nous revoir de nouveau cet après-midi (hier) en vue de trouver une solution définitive à cette tension avocats-magistrats qui n'a que trop duré. En tout état de cause, au sein du syndicat, nous considérons qu'il existe un groupe d'avocats qui cherchent malheureusement à envenimer les rapports avec les magistrats». Elle conclut : «Sur le plan juridique, personne n'est au-dessus de la loi. Les avocats défendant Me Fatma Mejri ont le droit d'introduire une opposition à l'encontre de l'arrestation de leur cliente. C'est un droit que la loi accorde à tout le monde». Pour une déontologie commune Le magistrat Ahmed Rahmouni, quant à lui, déplore la détérioration des rapports entre les avocats et les magistrats «au point que le magistrat en charge de l'affaire a été agressé verbalement et a failli l'être physiquement, ce qui l'a poussé à quitter le Palais de Justice dans une voiture administrative sous escorte sécuritaire». Le résultat est là : «Le juge d'instruction n'a pas finalement statué sur la demande de libération de l'avocate Fatma Mejri soumise par ses défenseurs. L'accusée a pris l'engagement de régler le problème avec son accusatrice. Elle aurait pu être libérée si ses avocats n'avaient pas agi de la sorte», précise-t-il. «Au sein de l'Otim, nous appelons à la mise en place d'une charte de déontologie commune qu'aussi bien les avocats que les magistrats doivent respecter. Nous appelons également à éviter le discours corporatiste qui ne peut qu'envenimer encore plus les rapports avocats-magistrats et marginaliser les solutions communes», fait-il encore remarquer. Du côté des avocats, un autre son de cloche. Me Ameur Maherzi, président de la section régionale de Tunis de l'Ordre des avocats, se contente de déclarer, sans entrer dans les détails : «Malheureusement, il existe des magistrats qui ne sont pas compréhensifs, ne reconnaissent pas l'immunité et les garanties accordées aux avocats et appliquent mal les lois en vigueur. Cela ne nous empêche pas d'appeler à l'instauration de nouveaux rapports avec les magistrats de nature à promouvoir le secteur de la justice». Dernière minute Me Fatma Mejri relâchée Nous apprenons, au moment de la rédaction de notre article, que Me Fatma Mejri a été relâchée. «C'est la chambre d'accusation qui a pris cette décision», nous informe Me Ameur Maherzi.