- «Certaines parties se méfient de l'autogestion de la magistrature», déplore Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire Tunisien d'Indépendance de la Justice - «Il faut s'attaquer aux textes», recommande Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des Magistrats de Tunisie Les rapports entre le ministre «indépendant» de la Justice et les magistrats sont loin d'être au beau fixe. La tension s'est tellement gâtée que l'Association des Magistrats de Tunisie (AMT) a appelé à une grève à observer par tous les tribunaux du pays, jeudi prochain. Le mouvement partiel des magistrats décidé dernièrement par le ministre par des ordonnances, sans consulter l'Instance provisoire de la magistrature, a attisé les passions. Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire Tunisien de l'Indépendance de la Magistrature (OTIM) déclare au Temps que la grève comme recours de contestation se justifie par les agissements du ministère. « Le ministère tient à reproduire les anciennes pratiques à propos des nominations. Le ministre a tenu bon quant aux dernières décisions, bien que l'Instance provisoire de la magistrature ait considéré que le ministre avait outrepassé ses compétences. Ses décisions n'ont aucun appui juridique », dit-il. Le président de l'Observatoire déplore que le ministère après et même avant de décider de ces ordonnances, n'aient pas cessé d'incriminer l'Instance et d'affirmer qu'elle fait de l'agitation. A un certain moment le ministre a qualifié l'instance de « corps étranger ». « Dans son premier entretien accordé, le 28 octobre à une radio privée, le ministre a attaqué l'Instance et lui a reproché un viol de pouvoirs, et d'autoritarisme. Le lendemain, à propos de la situation de Khaled Barraq, inspecteur général, il a émis un écrit au directeur de cabinet où il rappelait la décision de l'Instance provisoire de la magistrature, et considérait que les instructions de l'inspecteur général ne peuvent être exécutées », rappelle le président de l'Observatoire. L'Inspecteur général et la majorité des magistrats concernés par les ordonnances prises par le ministre, sont toujours dans leurs bureaux. Pratiquement ses ordonnances n'ont pas été mises en application. L'Instance a soumis au ministre un écrit le 29 octobre, lui rappelant ses décisions. Elle considère la position du ministre comme une agression contre les magistrats. La position de l'TIM, se résume en ces termes. Elle rejette la position du ministère et considère que le refus du ministre d'exécuter les décisions de l'Instance confirme que le pouvoir exécutif et des centres d'intérêt tiennent à des nominations bien précises, pour en récolter des dividendes politiques. « C'est une manière de conserver les avantages de l'ère dictatoriale. La confrontation entre l'instance et le ministre est porté sur la place publique. L'Instance n'a encore pas de moyens d'exercer convenablement ses prérogatives, à part ceux de la Cour de Cassation. Même la HAICA dispose de plus de moyens. Certaines parties se méfient de l'autogestion de la magistrature. Les méthodes de traitement et les propos tenus à propos de l'Instance, ne font qu'envenimer la situation. C'est cette instance qui représente le pouvoir judiciaire. Elle ne bénéficie d'aucune considération de la part du ministre. Sa crédibilité en est écornée. Ce qui n'inspire pas confiance dans le pouvoir judiciaire ». Pour Ahmed Rahmouni, les choses sont claires, le ministre et le pouvoir exécutif n'ont pas à désigner les magistrats ou les muter en dehors de l'Instance de la Magistrature La loi créant l'Instance le stipule de façon claire et sans équivoque. A propos de l'Inspecteur général du ministère de la Justice, le ministre en tenant à le nommer lui-même, fait perdre aux magistrats leur indépendance. Ahmed Rahmouni, pense que l'orientation de l'Instance considérant que la nomination des magistrats quel que soit leur grade est saine. Le ministre n'en veut pas. D'ailleurs, il reproche à l'Instance d'avoir ouvert un concours pour la désignation d'un directeur de l'Institut Supérieur de la Magistrature, alors qu'il l'avait déjà nommé. L'OTIM appelle le ministre à revenir sur ses décisions et le Gouvernement à fournir à l'Instance les moyens d'exercer ses prérogatives. Le mouvement des magistrats effectué depuis deux mois n'est pas encore publié au Journal Officiel. « Tous ces éléments justifient la contestation », conclue Ahmed Rahmouni. Le pays peut-il supporter une autre grève ? De son côté, avant la réunion extraordinaire, hier, de son bureau, Roudha Laâbidi, présidente du Syndicat des Magistrats de Tunisie (SMT) a déclaré au Temps que l'Association n'a pas évoqué le projet de Constitution et la commission du consensus qui n'a pas écouté les revendications du Syndicat. La loi 1967 est toujours en vigueur. « Il faut que le ministre n'ait plus la possibilité légale d'intervenir. Il faut agir sur le texte et non sur ses retombées. C'est la cause du mal, » conclue-t-elle.