La société civile féministe, les juristes et les défenseurs des droits de l'Homme désapprouvent le verdict, le jugeant injuste et provoquant La société civile féministe réfute le verdict rendu par le Tribunal de première instance de Tunis, le 31 mars 2014, s'agissant de l'affaire du viol commis par deux agents de police et un troisième agent-complice, portant ainsi atteinte à l'intégrité physique et psychologique de la jeune femme Mariem. Ce verdict — bien qu'inculpant les trois agents, condamne deux d'entre eux à une peine de sept ans de prison et le troisième à deux ans de prison et une amende de 20 mille dinars pour corruption— est jugé par la société civile et par les femmes de loi comme étant injuste et non conforme tant aux principes moraux qu'aux textes de loi. Pour exprimer et expliquer la position de la société civile, des juristes et des défenseurs des droits de l'Homme à ce propos, l'Association tunisienne des femmes démocrates a organisé, hier, au siège du Centre d'écoute et d'accueil des femmes victimes de violence à Tunis, une conférence de presse. Cette rencontre a été tenue en collaboration avec la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, l'Organisation tunisienne de lutte contre la torture, l'Association des femmes juristes tunisiennes ainsi que la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme. Ouvrant la conférence, Mme Moufida Missaoui, directrice du centre, rappelle l'intérêt accru qu'accorde la société civile depuis les années 1990 à la lutte contre la violence à l'égard du genre. Pour elle, l'affaire de Mariem s'avère être une affaire d'opinion publique. Le courage de cette femme, victime de viol lui a permis de briser le silence sur un sujet tabou : le viol. Elle dénonce, simultanément, l'abus de pouvoir auquel recourent certains agents de la sécurité nationale, censés pourtant protéger les citoyens et les citoyennes de crimes similaires. Mariem, la jeune femme surprise ainsi que son fiancé Bilel par trois agents de police et violée par deux d'entre eux dans un véhicule administratif, a été montrée du doigt par l'institution sécuritaire comme étant coupable et de réputation douteuse. Après des mois d'attente du verdict du tribunal, Mariem se heurte à une décision équivoque : les deux violeurs ont été inculpés mais condamnés à seulement 7 ans de prison ! Ce verdict repose, selon la Cour, sur des circonstances atténuantes ! Viol et abus sexuel Mme Monia Ben Jemiâ, juriste, s'interroge, non sans dégoût, sur les fondements législatifs d'un tel verdict. Elle indique que la loi condamne à mort tout violeur ayant eu recours à la violence physique. L'article 217 condamne à la prison à perpétuité tout acteur de viol n'ayant pas violenté sa victime, ce qui correspond parfaitement à l'affaire de Mariem. «Mais de quelles circonstances atténuantes parle-t-on ? Le viol a été commis en groupe et par des agents de police en plein service ! Ils ont même converti le véhicule propre à l'institution sécuritaire en un lieu de crime ! Autant de circonstances et d'éléments qui doivent être pris en compte comme étant des facteurs aggravants et non en tant que circonstances atténuant l'atrocité du viol », souligne Mme Ben Jemiâ, emportée par l'énervement. Elle renchérit que la victime a été violée et abusée sexuellement. «Selon l'article 228, la peine d'un abus sexuel est de 6 ans de prison. Il semble que le Tribunal a occulté le crime de viol et n'a pris en considération que l'abus sexuel —tout aussi atroce mais jugé à une peine moindre—, ce qui est illogique», explique-t-elle. Le législateur tunisien différencie le viol de l'abus sexuel. Pourtant, tous les codes pénaux internationaux, y compris la Convention de Rome, que la Tunisie avait bel et bien ratifiée, nient toute distinction entre le viol et l'abus sexuel. D'où l'impératif de réviser la législation pénale et de l'adapter aux lois internationales. L'oratrice souligne que l'abus sexuel, tout comme le viol, consiste en l'imposition d'un rapport sexuel non consenti, à travers une violence physique et morale. Le juge du Tribunal de première instance a occulté l'aspect moral, pourtant indiqué dans l'article 51 du code des obligations et des contrats. «La plupart des cas de viol surviennent sans que le violeur ait recours à la violence physique. Tétanisées par la peur, la plupart des victimes se trouvent sans défense. Ce qui est le cas de Mariem qui a été violée par deux agents de police au bout d'une demi-heure», ajoute la juriste. De son côté, Mme Yosra Frawes, représentant la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, qualifie le verdict de « provoquant », dans la mesure où il inculpe les criminels tout en les condamnant à une peine sans fondement aucun. L'article 114 recommande de rajouter à la peine initiale (la prison à perpétuité) le un tiers de la durée dans le cas où le coupable aurait usé de son pouvoir ou de l'argent de l'Etat pour accomplir son crime. Or, et à la grande surprise de tous, la peine a été, par contre, amoindrie à seulement 7 ans de prison ! Victime incriminée Mme Frawes se souvient du plaidoyer durant lequel Mariem n'a cessé de répéter l'expression « ils m'ont tuée », une métaphore qui signifie l'atrocité de ce qu'elle avait subi. De leur côté, les coupables tiennent tête. L'un d'entre eux a refusé de se mettre à la place de Bilel, le fiancé de Mariem. «Ils préfèrent enfiler le statut de coupables et non pas de victimes», ajoute-t-elle. L'oratrice s'indigne de la position du juge qui a été probablement influencé par des témoignages portant atteinte à la réputation de la victime. Prenant la parole à son tour, Mme Halima Jouini, représentant la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, insiste sur l'indispensable révision des appellations juridiques telles qu'«abus sexuel» qui amoindrissent le viol, notamment sur les enfants, ou encore «le rapport sexuel non consenti » ; des termes juridiques qui jouent au détriment de l'intégrité de la victime. Elle cite les propos de Khaled Tarrouch, ex-porte-parole du ministère de l'Intérieur qui avait considéré, alors, Mariem comme coupable jusqu'à ce que son innocence soit prononcée. Des propos sexistes à condamner. «Il convient au chargé du contentieux de l'Etat de présenter ses excuses quant à ces propos», recommande-t-elle. Quant à Mme Radhia Nasraoui, présidente de l'Organisation tunisienne de lutte contre la torture, elle dénonce le comportement discriminatoire pour lequel a opté le juge, le jour du plaidoyer. Le juge avait, selon ses dires, entravé les négociations et les discussions indispensables au plaidoyer. Il avait manifesté une nette négligence envers les quatre avocates défendant la victime. L'oratrice évoque, non sans étonnement, la condamnation de l'agent complice à deux ans de prison et à une amende de 20 mille dinars. Cet agent a joué un rôle important dans ce crime puisqu'il a éloigné Bilel du lieu du crime. Mme Nasraoui indique que les avocates de Mariem s'apprêtent à faire appel.