Encore une fois, la partitocratie s'affiche. La Tunisie ressemble en cela à l'Italie d'après-guerre, où la faiblesse chronique des institutions a favorisé l'hégémonie non méritée des partis. À preuve, la nouvelle loi électorale adoptée il y a trois jours par une Assemblée constituante qui n'en finit pas de jouer les prolongations. Disons-le d'emblée : cette loi électorale traduit des tractations de coulisses. Soit des rapports de force. Et le terme force s'avère lui-même impropre en fait. Les partis politiques tunisiens sont plutôt faibles. D'abord, ils représentent, tous tant qu'ils sont, moins de 3% des Tunisiens. Ensuite ils se distinguent par la faiblesse de leur taux d'encadrement. Sans parler de l'inconsistance de leurs programmes, réduits le plus souvent à des déclarations d'intention généralistes. C'est donc une coalition contradictoire de formations faibles qui a présidé à l'accord sur la dernière mouture de la loi électorale. Sur les 217 constituants, seulement 152 ont participé au vote de la loi électorale, soit 70% du total. 132 d'entre eux ont voté pour, 11 contre et 9 abstentions. Deux questions essentielles témoignent de la ferme volonté des partis de la place de privilégier l'accord de gré à gré à la souveraineté des institutions et des stipulations légales. Celles-ci sont par vocation impersonnelles et générales. Or, en maintenant la question de la modalité des élections en suspens (élections présidentielle et législatives jumelées ou séparées dans le temps), les constituants ont laissé libre accès aux tractations douteuses. Idem des deux votes sur l'article 167 relatif aux empêchements de se présenter aux élections de certaines figures de l'ancien régime. Ici et là, le non-dit dans l'hémicycle l'a emporté. Donnant-donnant, coteries déguisées et coalitions secrètes ont émaillé les conciliabules dans des salles obscures. De sorte que le vote n'était que la partie immergée d'un iceberg dans des eaux troubles. La question des seuils minimum devant présider au financement public des campagnes des partis à elle aussi fait l'objet d'accords non déclarés. Ce qui autorise la multiplicité des candidatures de listes pour le moins fantaisistes sinon scabreuses et malintentionnées. La dispersion des voix, malgré le système adopté des calculs du coefficient des restes, est pour certains une véritable aubaine. Comme on a pu le constater lors des élections de la Constituante le 23 octobre 2011. Près d'un million et demi de voix ont donné, d'un côté, 89 sièges à Ennahdha et, de l'autre, près d'un million et demi de voix dispersées n'ont rien donné à personne. Passe encore pour le grave déficit en matière de parité horizontale hommes-femmes, et la représentativité féminine à la tête des listes. Il en est de même en ce qui a trait à l'interdiction faite aux policiers et militaires de voter. Sans parler des silences étonnants concernant les finances des partis et des listes en lice. Bien pis, les manquements à la transparence et aux obligations légales en matière de financement sont sanctionnés on ne peut plus mièvrement. Ce qui incite à la fraude en quelque sorte. Il y a également l'absence des élections régionales sur des bases nouvelles. En toile de fond, il y a aussi la problématique des circonscriptions électorales. Plusieurs carences y autorisent les manipulations indirectes du scrutin. Une question étrangement absente des débats de fond sur la loi électorale. Bref, cette loi électorale est incomplète. Elle traduit une espèce de consensus mou de coalitions prêtes à s'entendre à la va-vite. Pourvu qu'elles gardent quelque part une place au soleil. Si l'on superpose cela aux carences de la loi sur l'Instance supérieure des élections, la boucle vicieuse est d'une certaine manière bouclée. Cela se vérifie notamment au niveau des pouvoirs discrétionnaires des gouverneurs en matière d'élections. Et l'Isie en question a du pain sur la planche. Elle hérite d'un vaste chantier encore en friche. Et ne dispose point encore des moyens de sa politique. Pour l'heure, il semblerait que les élections pourraient avoir lieu en novembre 2014. C'est dire qu'il faudra à Chafik Sarsar, président de l'Isie, et à ses proches collaborateurs, courir deux fois plus vite pour rester à la même place.