Par Soufiane Ben Farhat Avec l'ouverture, hier, de la campagne électorale, le processus des élections de l'Assemblée constituante atteint un nouveau palier. On n'en est certes pas encore au régime de croisière. Loin s'en faut. Mais l'opération se corse au fil des jours. L'essentiel est qu'on y soit déjà, psychologiquement parlant. Pour le reste, l'intendance suivra. Et il semble bien qu'elle ait du pain sur la planche. En fait, il s'agit des premières élections du genre dans l'histoire de la Tunisie moderne. Elles n'ont d'égal que l'élection de la première Constituante le 25 mars 1956, c'est-à-dire cinq jours après l'indépendance. Celle-là avait accouché de la République. Celle-ci est supposée asseoir les attributs institutionnels et législatifs de la démocratie. Les Tunisiens ne s'y sont pas trompés. Ils s'investissent corps et âme dans la bataille électorale. Les statistiques préliminaires de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) sont on ne peut plus éloquentes à ce propos. Le nombre de candidats aux élections de la Constituante est estimé à 10.937, répartis sur pas moins de 1.424 listes dans 27 circonscriptions électorales (sans compter les six circonscriptions des Tunisiens à l'étranger). En tout, il s'agit de 787 listes de partis, 587 listes indépendantes et 54 listes de coalitions. En fait, les statistiques définitives ne sont pas encore disponibles. Des difficultés particulières expliquent l'à-peu-près de l'Isie en la matière. Mais c'est somme toute compréhensible. Et pour cause : pour la première fois au monde, une pareille instance indépendante organise un processus électoral décisif de A à Z. Le ministère de l'Intérieur n'y est guère impliqué, sinon pour garantir la sécurité de la campagne et du vote. Franchement, malgré quelques critiques, reconnaissons à l'Isie la difficulté de sa tâche. Et ce n'est encore qu'un début. Quelques données évidentes, quoique partiellement tues, en disent long là-dessus. Ainsi en est-il du nombre des électeurs potentiels. Assurément, des cartes d'identité de centaines de milliers de personnes décédées sont toujours en circulation. Vérifications faites, le registre officiel des autorisations d'inhumation dépasse de loin celui des personnes officiellement déclarées décédées. La non-conformité porte sur environ un million de personnes. Et les électeurs peuvent toujours voter sans être préalablement inscrits sur les listes électorales, via les cartes d'identité. On imagine le topo le jour même du scrutin, le 23 octobre. Raison pour laquelle l'Isie appelle les citoyens à choisir le bureau de vote des circonscriptions dont ils relèvent en fonction de leur carte d'identité. Histoire de les identifier physiquement au préalable. Ce n'est qu'une partie des difficultés. Mais on demeure quand même optimiste. Tous les Tunisiens sont responsables de la réussite de ces élections. Point de je-m'en-foutisme ou de quelque attentisme en la matière. Certes, il se trouvera toujours, comme partout, des parties qui, certaines de ne pas l'emporter, s'ingénient à fausser le jeu. Il y a aussi l'inévitable quarteron des nostalgiques. Et leurs alliés de fait, les liquidateurs. Mais, dans tout processus électoral, il y a une case risques et périls. La responsabilité est partagée en vérité. Nul n'en est exempt. Nous relevons cependant l'incurie de certains partis en la matière. Parce qu'au-delà des revendications et querelles de chapelle, les partis sont redevables de l'enracinement de l'esprit civique. On n'a pas vu jusqu'ici quelque parti dire aux électeurs, les plus jeunes d'entre eux surtout : «Quel que soit votre choix, l'essentiel est de voter». Ce sont plutôt les clivages partisans qui l'emportent dans les démarches et les discours des uns et des autres. Sans parler des charges et échanges à boulets rouges. Or il est bien évident que plus le vote est massif, plus les desseins scabreux de la galaxie des antijeux tombent à l'eau. Tout attentisme en la matière fait le lit des manipulateurs ou des faussaires. Les armées battues sont bien instruites. N'attendons pas la débâcle pour être lucides.