Qui était donc cette princesse Nazli qui fit tant parler d'elle à une époque où l'on parlait peu des femmes, et où on les mettait peu en lumière ? Princesse égyptienne — cela a bien sûr largement contribué au mythe —, elle avait séduit dans son âge mûr le très séduisant et très convoité Khelil Bouhajeb, notable tunisien de grande lignée. La princesse Nazli avait créé un salon littéraire dans la maison Ramsès à La Marsa, recevant lettrés et intellectuels tunisiens ou étrangers, et reprenant ainsi des habitudes acquises au Caire ou à Paris où elle avait longtemps vécu. A Tunis, cependant, cela étonnait quand cela ne suscitait pas la jalousie des dames de la haute société qui ne disposaient pas d'une telle liberté. Peut-être parce qu'elle porte le même prénom, Nazli Hafsia, à qui l'on doit un certain nombre d'ouvrages historiques, dont celui consacré à Abdeljelil Zaouche, s'est intéressée à ce personnage hors du commun qui devait faire rêver sa mère. Elle lui consacre une passionnante monographie qui, outre l'aspect romanesque du personnage, trace un tableau précis et fouillé de la Tunisie de l'époque. «Quand la princesse Nazli s'installe en Tunisie, elle est alors nourrie de ses voyages à Paris, à Istanbul, au Caire, à Londres, riche des discussions intellectuelles, artistiques et politiques, souvent cosmopolites auxquelles elle a pris part en tant qu'épouse de l'ambassadeur de l'Empire ottoman à Paris, puis très vite comme personnalité cultivée et engagée, reconnue comme une figure intellectuelle à part entière», écrit Monique Raymond qui présente le livre paru aux éditions du Sagittaire. «A la mort de son époux, en 1879, elle s'installe au Caire où elle ouvre un salon. Elle en fait un lieu de rencontres et d'échanges pour les artistes, les intellectuels, les penseurs aux idées réformistes et les étrangers qui viennent à la rencontre de l'Egypte. Séjournant en Tunisie, elle côtoie le mouvement réformiste tunisien. En 1900, elle épouse Khelil Bouhajeb, fils du réformiste Cheikh Salem Bouhajeb, et crée un salon littéraire dans sa résidence de La Marsa. Nazli Hafsia nous montre dans son livre comment la première Nazli rayonnait en Tunisie et lui offrait son engagement pour l'exercice, nécessaire à ses yeux, des libertés.» La princesse égyptienne a su, avec subtilité et séduction, intelligence et nuance, faire souffler l'esprit du grand large sur la Tunisie de l'époque, accueillir les grands courants de pensée moderne tout en restant profondément et fondamentalement orientale. Ce qui explique que le mythe ait perduré. La villa Ramsès n'existe plus aujourd'hui, le terrain en a été morcelé, mais dans une demeure qui s'élève sur une partie de ce jardin, un des descendants de Si Khelil Bouhajeb possède un magnifique portrait en pied de la princesse Nazli. Alya HAMZA