Cheikh Salem Bouhajeb (1827-1924) Ce fut pendant ce mois de mars 1881, que le sort de la Tunisie a été décidé par les colonialistes . A cette époque Kheireddine, le ministre réformiste se trouvait en Turquie, mais n'avait pas tout à fait baissé les bras, essayant de faire intervenir la sublime porte afin d'éviter une mainmise de la France sur la Tunisie. En 1871, il avait fait, un voyage de sensibilisation en Turquie en se faisant accompagner par un jurisconsulte et érudit de grande renommée : Cheikh Salem Bouhajeb. Celui-ci d'une grande culture, avait un esprit ouvert et réformiste. De formation zeitounienne, il acquit les bases de la langue arabe, de l'exégèse du Coran et de la législation musulmane ou chariaâ, à cette même mosquée Ezzeitouna, où il s'installa pour y enseigner à son tour, se distinguant par ses larges connaissances et ses interprétations pondérées et sensées des préceptes de l'Islam. A l'instar d'Ibn Khaldoun qui fut taxé de libéraliste par Ibn Arfa pour lui chercher noise, Salem Bouhajeb n'échappa pas également au dénigrement de certains de ses collègues zeitouniens à l'esprit obtu et figé. Car avec son esprit ouvert et illuminé, il avait combattu de toutes ses forces l'intolérance sous toutes ses formes. Il était pour " Al Ijtihad " c'est-à-dire l'effort intellectuel afin d'éviter le plus possible un dogmatisme constituant un obstacle pour le développement humain. Durant son voyage en Turquie, il critiqua l'attitude des régents tunisiens nonchalante et inconsciente, devant le danger qui menaçait la Tunisie, face à une Europe développée, tant sur le plan intellectuel qu'industriel . En mars 1881, il avait fait part de son inquiétude, lors de l'une de ses conférences à la mosquée Ezzeitouna, devant des élèves venus assister nombreux, en ce qui concerne l'attitude de la France d'envahir la Tunisie, qui s'était de plus concrétisée, depuis 1870, date où celle-ci avait perdu la guerre contre la Prusse. Cette conférence fut accueillie par un tollé général, à telle enseigne qu'il fut contacté encore une fois par Kheireddine depuis la Turquie, afin de l'y rejoindre pour une dernière tentative d'éviter la catastrophe. Le Cheikh Salem Bouhajeb ne voyait qu'une seule issue, pouvant parer cette situation : Entreprendre des réformes tant sur le plan politique que social et économique. Or, les jeux étaient déjà faits, devant un Bey de plus en plus démuni de ses pouvoirs à cause d'une situation d'endettement du pays envers des hommes d'affaires français, qui après avoir procédé à toutes sortes de malversations pour en tirer profit, demandèrent protection à leur Etat. Celui-ci, intervenant par l'intermédiaire de son Consul, complice et partie prenante , trouvait par ce biais, l'un des prétextes majeurs pour envahir le pays. Le Cheikh Salem Bouhajeb qui enseigna jusqu'en 1912 à la Mosquée Ezzeitouna, continua sur le même élan, et avec la même énergie à s'ériger contre le colonialisme, appelant, tant à travers ses cours qu'à travers ses multiples conférences dans les cercles littéraires, à recouvrer la dignité et la souveraineté de la Tunisie, pays de civilisation arabo-musulmane, dont il était fier d'appartenir en rappelant à chaque occasion qu'elle fut celle qui inspira et illumina pendant des siècles bien d'autres civilisations, dont notamment la civilisation européenne.