Face à la décadence continue de la chanson arabe, en général, et orientale, en particulier, le livre de Abderrazak Hihi Les airs de la belle époque (Alhan az'zaman al jamil), récemment mis sur le marché, vient à point nommé rappeler que tel ne fut pas son cas, le siècle dernier, où de longues décades durant, le «Machraq» a enfanté des voix, des compositeurs et des paroliers dont on ne voit plus. L'auteur, qui a choisi de limiter son travail aux années 40, 50 et 60, n'a pas versé dans la facilité en se consacrant à l'établi et le surmédiatisé. Aussi, ne trouve-t-on dans ce livre ni Oum Kalthoum, ni Abdelwahab (même s'il est évoqué via ses compositions pour Faïza Ahmed ou Najet Essaghira), ni Abdelhalim, soit les icônes de la chanson égyptienne. Mais, il est malgré tout resté dans le référenciel, et même dans l'Elitisme, serions-nous tentés de dire. En est-il autrement quand l'entame est consacrée à Mohamed Abdelmottaleb, un chanteur d'exception au répertoire des plus riches, mais qui n'a jamais été une vedette. Seuls les vrais mélomanes le plaçaient — et le placent toujours‑— parmi les quelques meilleurs de tous les temps. D'ailleurs, si Hihi a sélectionné entre deux et huit chansons pour les autres voix, il nous en propose pas moins de treize de Abdelmottaleb, dont les inoubliables «Es'sabt fat» (Samedi est passé), «Saken fi hay Essayida (J'habite la cité Essayida), «Waddaâ hawak» (Oublie ton amour)… et les moins connus «Ya nayima ellil» (approximatif‑: O'insouciante) ou «Kass el hana» (La coupe de félicité). Les paroles de tous les morceaux sélectionnés sont intégralement retranscrites et suivies, de surcroît, par la partition musicale complète. Ainsi, profanes, étudiants en musique et érudits peuvent en profiter à fond, soit en fredonnant ces airs, soit en les exécutant dans différentes circonstances ou en travaillant dessus. Mentionnons également l'aperçu précis et concis que l'auteur nous offre à propos de la vie et du parcours artistique des douze chanteurs et chanteuses qu'il a choisis pour ce livre qu'il a clos par un autre grand nom‑: Riadh Sombati. Une façon de nous rappeler que ce compositeur hors pair a également été chanteur, et pas seulement à ses heures perdues. Entre lui et Mohamed Abdemottaleb, d'autres noms phares de la chanson orientale sont abordés. Il s'agit respectivement de Issmahane, Leïla Mourad, Mohamed Kandil, Souaâd Mohamed, Salah Abdelhay, Chahrazade, Najet Essaghira, Karem Mahmoud, Faïza Ahmed et Laure Daccache. Une constellation d'artistes vrais dont le répertoire est d'une grande qualité, le tout en «tarab» pur. Certes, le lecteur, comme le relève Lotfi Mraïhi dans sa préface, regrettera toujours que telle chanson ou telle autre n'ait pas figuré dans Les airs de la belle époque, comme nous-mêmes qui aurions aimé que des Sayed Dérouiche, Maher Al Attar ou Mohamed Faouzi soient cités, mais un livre a toujours des limites et un auteur doit forcément faire des choix et procéder à des éliminations. Hihi a déjà réussi sa sélection et il nous suffit qu'au-delà des voix qu'il nous a proposées, de leurs parcours, des paroles et des partitions d'une partie de leur répertoire, il nous ait permis de (re)mettre les noms des paroliers et des compositeurs sur chacune des chansons sélectionnées. On lui doit également le fait de nous avoir indirectement rappelé (ou appris) que des musiciens, peu médiatisés, ont été très prolifiques, qualité et quantité confondues, et que l'époque dont il est question n'aurait jamais été aussi belle sans eux. Citons Mahmoud Chérif, Ahmed Sedki, Daoud Hosni…