Elle va doucement, la petite, mais elle sera grande un jour. Tout doucement. Sans précipitation ni prétention. Elle semble savoir ce qu'elle vaut aujourd'hui et ce que ses possibilités – car elle en a, vraiment – lui réservent pour des lendemains, sûrement, épatants. Bien installée dans la gamme Douka Rast (un peu plus bas que le naturel, le grave, par opposition à l'aigu), elle ne peine pas à atteindre les deux extrêmes avec beaucoup d'aisance, avec même un zeste d'élégance. En un mot comme en mille, c'est une valeur sûre qui se prépare lentement mais avec conviction, sans chercher à brûler les étapes. Pour le moment, de nombreux atouts plaident en sa faveur : un timbre fort duveteux, un savoir-chanter indéniable (pas le moindre dérapage de la voix, ni chevauchement sur le rythme), une remarquable assurance dans l'interprétation, et, plus important que tout, l'humilité. Qui ne sait être humble n'atteindra jamais l'arrivée – dont découle la célébrité. Iqbel Joumni a une prédilection très prononcée pour Najet Essaghira dont elle a, avant-hier, au Théâtre municipal, interprété plus d'une chanson. Mais cette jeune Iqbel a tout de même mis toute la salle debout pour avoir réussi agréablement ‘‘El aryb minnak bêîd''. Tant pis si le public n'a pas répondu massivement à son concert, il lui courra après un de ces jours. Il est des noms qui nous indiffèrent à leur début, mais qui nous habiteront à jamais un peu plus tard. Iqbel en est un. Un nom qui va beaucoup surprendre un de ces jours. Pourvu qu'elle sache dès à présent que celui qui n'investit pas – et ne s'investit pas à fond – stagne dans un premier temps, et périclite dans le second. Iqbel a tout de même fourni la preuve de ses intentions d'investissement. Elle a présenté une chanson écrite et composée pour elle, soit un hommage émouvant à la révolution tunisienne dont les braises se sont répercutées sur les Pyramides du Nil. Une vraie chanson digne de la Tunisie du 14 janvier. Entre-temps, elle a esquissé un tour d'horizon l'ayant amenée de Najet Essaghira à Ismahène, en passant par les incontournables Ali Riahi et Saliha, puis l'inoubliable Faïza Ahmed. Ce retour aux années fastes de la chanson arabe n'est ni fortuit ni le caprice d'un goût personnel, mais – nous semble-t-il – l'intention délibérée de prendre le public présent à témoin de ses capacités artistiques. Message reçu. Il ne reste plus à Iqbel qu'à voler de ses propres ailes. Car on ne vit jamais bien sous le nom des autres, avec le répertoire des autres ; bien au contraire, on s'auto-efface de la sorte, à plus ou moins longue échéance. Et ce serait un vrai gâchis que de disparaître de la scène après l'avoir foulée une ou deux fois. Surtout après avoir réussi ce coup inouï de mettre tout le Théâtre debout. Le succès qui n'appelle pas au suivant est perçu comme un simple accident. Or, on a du mal à croire que Iqbel Joumni n'aura été qu'un banal accident dans l'histoire de la musique tunisienne.