Lorsqu'à la fin de l'année 1976 et de 1977 j'intégrais «La Presse», en tant que pigiste puis journaliste à plein temps, mon véritable mentor a été Amor Belkhiria, tout directeur qu'il était. C'est que Noureddine Tabka, Slah Maâoui, feu Mohamed Mahfoudh, Brahim Labassi..., mes aînés à «La Presse», coexistaient parfaitement avec lui et se laissaient guider par sa sagesse et sa bonhomie légendaires. Personne n'avait le sentiment d'être dépossédé de ses prérogatives. Il se considérait le véritable tuteur et le réel protecteur de toute son équipe de journalistes. A une époque où la presse en général était sous contrôle, avec chaque jour son éventuelle peine de remontrances administratives après coup, à la publication du journal, Si Amor couvrait tout le monde. Des plumes critiques sévères à l'égard du régime de l'époque faisaient d'ailleurs partie intégrante de l'équipe des journalistes, de longues années durant. Si Amor a su s'en s'accommoder. «La Presse» fonctionnait alors comme en dehors de son temps...au temps de Si Amor. Sa gestion financière ? Tout était conçu pour lui pour épargner au journal le moindre écart de dépenses. Nos déplacements en taxis étaient pratiquement considérés comme un non-sens pour lui. La vraie raison « financière » est admirablement maquillée sous les traits d'une conduite non pratique par Si Amor. Il ne cessait alors de nous poser la question « Comment pourriez- vous vous rendre compte des problématiques de la vie quotidienne des gens, que vous devriez rapporter, analyser et méditer si vous ne preniez pas les moyens de transport publics » ? La suite, on la connaît. La mise sur pied d'une véritable institution, la Snipe, et d'un journal prospère, influent et de référence, possédant sa propre imprimerie, un parc de louages... Mon contact privilégié avec lui, dans notre ville natale commune, Jemmal, m'a aussi appris comment il savait gérer les hommes et les institutions de proximité telles que la municipalité. Il jouissait d'une écoute attentive qui lui valait l'estime de tout le monde. Il possédait surtout l'art de la conciliation, de la conviction et de la mobilisation pour les causes communes et exaltantes. Il avait surtout le don de mettre ces dernières en situation et en exergue aux dépens des faux problèmes. Avec la disparition de Amor Belkhiria, le secteur des médias tunisiens perd l'un de ses pionniers. Il lui doit une profonde reconnaissance et un grand respect. La grandeur de l'édifice «La Presse» repose sur la somme des pierres qui le composent, ajoutées une à une par les plus fervents et aussi sur la reconnaissance que l'on éprouve face à de telles touches successives.