Abdessatar Badr: «Nous veillons à ce que les lignes rouges ne soient pas franchies» Au milieu d'une route commerçante par laquelle passent péniblement des voitures et de rares bus et où on rencontre, plus fréquemment qu'ailleurs, des femmes portant le nikab, se trouve une décharge sauvage nauséabonde à côté de balançoires — payantes — pour enfants, affligeant encore plus ce paysage désolant. Quelques mètres plus loin dans cette cité atypique de Douar Hicher, apparaît une mosquée, ordinaire en apparence, c'est la mosquée «Al-Nour» (la lumière). «C'est désormais la mosquée des ténèbres et du terrorisme!», s'exclame Abdallah (40 ans) lorsque le bus s'arrête juste à côté. C'est que la mosquée «Al-Nour» est l'un des 25 lieux de culte qui échappent encore au contrôle légal de l'Etat. Le personnel qui y travaille n'a pas été mandaté par le ministère des Affaires religieuses et n'entend pas obéir aux lois et réglementations en vigueur. Il est plus de 17h00, la prière d'Al Asr est terminée depuis un moment, à l'intérieur, un adolescent change quelques ampoules muni d'une échelle de fortune. Au même moment, deux individus font la sieste à même le sol. Pourtant, un matelas et un oreiller disposés en pleine salle de prière invitent les gens à prendre leurs aises. Selon Abdallah, une poignée d'extrémistes tiennent la mosquée d'une main de fer et profitent de la tribune pour y prêcher la violence et la haine de l'autre. En tous cas, pour un visiteur de passage, la mosquée «Al-Nour» n'a rien d'exceptionnel. Le jeune adolescent qui «s'occupe» de la mosquée est même extrêmement courtois. Des poches de résistance Comme la mosquée Al-Nour, elles étaient près de 149 mosquées hors de contrôle de l'Etat lorsque le gouvernement Mehdi Jomâa a été mis en place. Selon Abdessatar Badr, conseiller du ministre des Affaires religieuses, elles ne seraient plus que 25 désormais qui font «encore de la résistance». La stratégie adoptée par le gouvernement pour reprendre en main les mosquées dissidentes a, semble-t-il, été efficace. Dans chaque gouvernorat, a été créée une cellule mixte composée d'un représentant du ministère des Affaires religieuses, d'un représentant de la police ou de la garde nationale et d'un représentant du ministère public, sous la présidence du gouverneur. L'idée est simple, à chaque fois que le ministère des Affaires religieuses trouve «le remplaçant idéal», la police convoque celui qui s'est improvisé imam pour lui signifier qu'il ne pourra plus, désormais, gravir les marches du mihrab. «Il arrive parfois que des imams fassent de la résistance, cela s'est vu à Kairouan et à Errouhia par exemple, mais globalement, la situation est désormais sous contrôle», précise Abdessatar Badr. Le ministère des Affaires religieuses indique cependant que ce n'est pas facile de trouver un bon prédicateur. «Dans des villages reculés, le bon profil est difficile à trouver et ceux qui l'ont sont réticents et rechignent à accepter d'endosser le costume d'imam», explique-t-il. Le conseiller du ministre rassure: «D'ici le début de la campagne électorale, l'ensemble des mosquées auront été reprises par l'Etat» Droit de regard sur les prêches Tandis que l'Etat reprend en main les mosquées réfractaires, une rumeur enfle: et si l'idée était de faire soumettre le discours religieux à une stricte surveillance, comme au temps de l'ancien régime? Selon Abdessatar Badr, l'idée avait été proposée d'uniformiser les prêches dans l'ensemble du pays. Mais très vite, elle avait été abandonnée, car dans ce cas, le prêche perdrait son sens et serait uniquement l'objet de la politique gouvernementale. Il était impossible en effet de prononcer le même prêche à La Marsa et à Tataouine, les deux régions n'ayant pas forcément des préoccupations identiques. Mais, le ministère des Affaires religieuses prévient, si la liberté de choisir le thème du prêche du vendredi est laissée aux prédicateurs, ceux-là ne doivent pas oublier qu'ils demeurent des fonctionnaires publics. «Nous veillons à ce que des lignes rouges ne soient pas franchies, explique Abdessatar Badr. Ces lignes sont claires : pas question d'instrumentaliser le «minbar» en faveur d'un parti politique, ou de propager un discours haineux». Il rappelle que 180 imams ont été démis de leurs fonctions pour avoir dépassé les limites tolérables Après trois années de laisser-aller, l'Etat libère les mosquées du joug des extrémistes, une liberté qui reste cependant sous haute surveillance.