Par Khaled TEBOURBI C'est un jeune rocker de «Zanzana» qui a eu ces mots l'autre jour à la télé. On la questionnait sur les raisons du «manque de présence de son groupe», il a répondu: «Les festivals, ici, remplissent des cases, ils ne se posent pas encore le problème de savoir qui est bon et qui l'est moins... Quant à se débrouiller seul pour faire connaître son art, c'est pur leurre quand il n'y a ni marché ni industrie...» Avouons : ces mots résument parfaitement la problématique des arts et de la culture en Tunisie. Outre qu'ils dénotent de la parfaite lucidité de nombre de nos jeunes artistes. Que signifie que nos festivals ne font que «remplir des cases»? Simplement, si l'on y réfléchit un peu plus, que ce sont des festivals qui «traitent» avec ce qui existe, pas plus, pas moins. Ils ont des musiques à «écouler», des publics à satisfaire et à divertir, des villes et des villages à animer, ils «s'exécutent en conséquence, selon ce que «dictent» les situations. Telles quelles ! Sans souci d'y changer quoi que ce soit. «Remplir des cases» équivaut à cela. Depuis le temps que cela dure, depuis que l'administration de Ben Ali a fait le choix de niveler la culture par le bas, de laisser ses publics en l'état, de faire de nos institutions festivalières des exutoires pour citoyens «en perte de sens et de goût» nous en avons, pour ainsi dire, «pris le pli», nous avons même pris l'habitude de ne plus formuler des regrets. Nous exagérons peut-être. On a conscience du mal dans l'actuel ministère. Lors de sa prise de fonction en janvier dernier, Mourad Sakli avait même insisté sur «la nécessité de travailler sur les structures, pour espérer réussir le bond de qualité attendu». Les structures, ce sont les lieux où l'on initie au meilleur des arts, l'école, les maisons de la culture, les bons vieux clubs de cinéma, les jeunesses musicales et théâtrales, etc. En un mot : le développement en amont. Celui qui prépare et affûte les futurs vrais publics de l'art. Celui qui permettra aux décideurs de demain non plus de «remplir des cases en guise de programmes», mais de pouvoir (enfin) aligner le niveau de la demande sur celle de l'offre. De hisser le public vers l'art et non l'inverse, c'est-à-dire l'y «rabaisser». Mourad Sakli avait une idée bien arrêtée sur les priorités à suivre du point de vue de la politique culturelle de l'Etat. Mieux : il avait, en plus, fait part de réelles projections pour ce qui est de l'entrée de la culture dans le circuit économique, autrement dit de ses perspectives de financement privé, sponsoring et mécénat, d'une façon certaine de son futur possible (souhaitable) comme industrie et comme marché. Reste que les mots du jeune Rocker de «Zanzana» demeurent réels, alors que la prise de conscience des décideurs ne donne toujours pas l'impression d'être suivie d'effets. Sur ce que l'on a vu des festivals cette saison, très peu de choses indiquent que l'on a eu le souci de faire coïncider le contenu des programmes avec les objectifs de base de la politique culturelle de l'Etat. D'instaurer une correspondance entre l'aval et l'amont de la culture. On ne reviendra pas sur les faux fuyants de «la culture pour tous» et de l'argumentaire de la diversité. Un seul autre rappel suffira : y a-t-il une coordination entre les festivals publics et les médias nationaux ? Les discours sont à des années-lumière les uns des autres. Nos jeunes animatrices et animateurs tendent toujours le micro pour insister sur deux seuls points : - Si le spectacle «a fait ou non le plein» - Et s'il y a eu de «l'ambiance ou pas» !? Les directeurs, en revanche, jurent fidélité à la culture et au bon goût. Comment faire avancer les arts ? Comment former des publics de l'art, alors que des médias nationaux vont pratiquement à contre-courant de la politique culturelle de l'Etat ? C'est le grand irrésolu. Il y en a d'autres. Exemple de l'absence de tout regard au sein de la Haica. Exemple des programmes scolaires, des clubs littéraires, de musique et de théâtre dans les lycées. C'est à cela qu'il faut d'abord s'attaquer... Compter des recettes, ou caresser les publics dans le bon sens du poil ne nous conduira, au mieux, que là où l'on végète depuis si longtemps.