Tout à fait d'accord avec Mourad Sakli quand il dit (Bila Moujamala. Dimanche 25 .04) que «l'objectif du festival de Carthage est d'élever le niveau culturel du large public…». D'accord sur l'idée, belle, généreuse, et qui devenait de moins en moins évidente dans la bouche de ses prédécesseurs; sceptique, néanmoins, quant aux moyens de la mettre en œuvre. Comment, en effet, amener le grand public vers la culture alors que vingt années durant, on l'a quasiment abandonné au bon gré des satellitaires et de leurs produits échevelés ? Comment, au surplus, penser pouvoir le faire à travers la seule contribution des festivals ? D'ex-directeurs venus témoigner ont parlé de «challenge» possible, à condition de donner ‘‘du temps au temps''. Pas même. Le problème est un problème global, intéressant les structures, tous les intervenants de la culture: depuis la famille, l'école, le milieu social, à l'enseignement secondaire et supérieur, à la promotion, à la diffusion, etc. A dire vrai, notre approche de la culture est presque toujours ‘‘parcellaire''. Nous traitons du théâtre, de la musique, du cinéma, du livre, des festivals, etc., rarement de toutes ces questions à la fois. Nous ‘‘focalisons'' en aval et si peu en amont. Nos festivals ne ‘‘virent' pas par eux-mêmes. S'ils en sont là où ils sont c'est parce que des choses n'ont pas bien fonctionné par ailleurs, parce que, chemin faisant, on a accumulé un passif. Au nom de la modernité et de la nouveauté, des musiques bas de gamme ont investi puis conquis notre univers sonore. Du Golfe à Tanger. Cela fait bien longtemps maintenant. Dans ce contexte, la mentalité de l'auditeur et du spectateur arabe (Tunisien) ne pouvait que muter : involuer. Haythem Chakroun (1) évoque «une attitude inquiétante qui consiste à applaudir tout et n'importe quoi. Puis : «Un consommateur qui ne vit ni pour ni De l'art musical…». Qui déguste. Pas plus. Annonçant «la victoire de la quête du nouveau sur la quête du performant et du beau…». Ces dysfonctionnements, ces passifs accumulés, nous en sommes, tous, plus ou moins responsables, et il est pour le moins irréaliste de penser les rattraper en deux ou trois sessions de festivals, fut-ce le meilleur festival au monde. Non : ce qu'il y faut, c'est une action concertée de tous les acteurs de la culture. Tous, sans exception. Ce dont nous avons le plus besoin en ce moment, c'est, davantage, de récupérer les publics de l'art que de faire proliférer les arts et les artistes eux-mêmes. Une stratégie de la culture populaire aujourd'hui : généraliser le besoin du performant et du beau pour rendre plus visible et plus audible la performant et le beau. Mourad Sakli qui a parfaitement conscience de ces problèmes, était, sans doute, occupé a sa «com» normal. De bonne guerre. On eut préféré, malgré tout, qu'il aborde, ne serait-ce que par souci de méthode, cet aspect fondamental des choses, au lieu de paraître imputer tout (ou presque) à la seule et unique «feuille de route festivalière». On ne sait, mais ainsi, pour une fois au moins, un festival, par delà sa dimension et son importance propres, aurait été situé à sa juste place. Pas comme une solution en soi. Plutôt, on l'a dit, comme un maillon de la chaîne de la culture, absolument tributaire des autres. A contre-courant Trêve de théorie, prenons le cas de la radio et de la télévision. Que font-elles pour préparer nos publics à des festivals de haut niveau? La radio, oui, peut-être, mais la télévision, peu, si peu. On dira plutôt qu'elle «s'échine» à l'inverse. A dilapider d'une main ce que l'on acquiert de l'autre. Tant que nos chaînes et nos antennes fonctionneront à contre-courant, avec des musicales de dernier choix, en l'absence, quasi intégrale, des «culturelles», dans le défilé ininterrompu des Stars academy et des télé-réalités, inutile d'espérer sensibiliser le public commun aux Arts d'exception. Sans coordination, en fait, entre la programmation audiovisuelle et la programmation festivalière, élever le niveau culturel des publics demeurera une utopie. Et il ne s'agissait là que de radios et de télés‑: d'un seul maillon. Beaucoup à dire encore à propos du reste. ––––––– 1) in «le dictionnaire critique des identités culturelles et des stratégies de développement en Tunisie» p121 et suivantes. ISM juillet 2006