Enfin, Ben Jaâf ar postule officiellement pour le Palais de Carthage. Toutefois, il continuera à assurer la présidence de l'ANC. Sa promesse de démissionner de la présidence de l'ANC est un engagement non tenu... Il est un phénomène spécifique à la classe politique tunisienne post-révolution. Il s'agit des promesses que nos politiciens font aux Tunisiens, le plus souvent exprimées avec des visées électoralistes ou quand le pays traverse une crise, et qui ne sont pas respectées. Pas plus tard qu'hier, Mustapha Ben Jaâfar, président d'Ettakatol et président de l'Assemblée nationale constituante, a annoncé sa candidature tout en spécifiant qu'il ne démissionnerait pas de la présidence de la Constituante. Encore une promesse non tenue, puisque le Dr Ben Jaâfar avait annoncé qu'il se retirerait du palais du Bardo au cas où il briguerait le fauteuil de Moncef Marzouki, lequel fait toujours durer le suspense bien que le CPR, dont il assure la présidence d'honneur, ait fait part de son intention de le soutenir. Faut-il rappeler, dans cet ordre d'idées, que le président d'Ettakatol n'en est pas à sa première promesse restée en l'air, dans la mesure où il s'était déjà engagé, début août dernier, pour que l'ANC adopte la loi antiterroriste au plus tard le 24 du même mois. Malheureusement, la campagne électorale en vue des législatives approche à grands pas (elle devra démarrer le 4 octobre prochain), alors que la loi antiterroriste est encore bloquée au palais du Bardo, où seuls quelques articles ont été votés et que plusieurs constituants penchent vers l'idée de transférer la loi en question au prochain Parlement. La Presse a essayé de sonder les réactions des acteurs du paysage politique et civil national quant à ce phénomène de promesses non tenues par des hommes politiques qui aspirent à ce que les Tunisiens leur renouvellent leur confiance afin qu'ils poursuivent la conduite du pays pour les cinq prochaines années sur la base de programmes dont personne ne connaît le contenu, à moins d'un mois de la grand-messe du 26 octobre prochain. Il n'est pas dans l'illégalité, il est dans l'illicéité «Sur le plan juridique, Ben Jaâfar a le droit de poursuivre la présidence de l'ANC jusqu'à l'élection de la prochaine Chambre des députés du peuple et sa prise de fonctions. Sauf qu'il devait se retirer, une fois candidat à la présidentielle, parce qu'il n'est plus sur un pied d'égalité avec les autres candidats. Même son apparition à la télévision en tant que président de l'ANC lors d'une activité officielle constitue une faveur par rapport aux autres concurrents», précise Abdelmajid Ebdelli, professeur de droit public. «Peu importe que Mustapha Ben Jaâfar respecte ou non sa promesse de démissionner, l'essentiel est de savoir que nos textes juridiques sont aujourd'hui dépassés par la réalité. Pour moi, Ben Jaâfar n'est pas dans l'illégalité, il est plutôt dans l'illicéité», poursuit-il. Notre interlocuteur attire l'attention , d'autre part, sur l'influence qu'a prise l'image dans la vie politique. «Aujourd'hui, on gagne les élections à la TV. Qui ne connaît pas aujourd'hui Hechmi Hamdi par exemple, bien qu'il réside depuis des années à l'étranger ? Pour moi, il faut revoir les textes juridiques régissant l'opération électorale dans la mesure où les électeurs votent pratiquement pour le candidat dont ils connaissent le visage auquel ils sont habitués», conclut-il. Nous voulons éviter un vide constitutionnel Du côté d'Ettakatol, les choses sont claires comme de l'eau de roche. «L'intérêt supérieur du pays impose que Mustapha Ben Jaâfar poursuive la présidence de l'ANC. Nous ne voulons pas qu'il y ait un vide constitutionnel au moment où le pays aborde le dernier quart d'heure de la transition démocratique dans un contexte particulier où tout le monde est appelé à la plus haute vigilance face aux terroristes qui menacent de torpiller les élections», confirme à La Presse Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol. Il souligne encore : «Le Dr Ben Jaâfar a précisé qu'il restera, d'ici les élections, à la même distance vis-à-vis de toutes les familles politiques. Il expliquera, mercredi ou jeudi prochains, à l'issue de la présentation de sa candidature auprès de l‘Isie, comment il va se comporter avec les différents partis en gérant ce qui reste du mandat de l'ANC». Et Bennour de conclure : «Nous avons évalué le coût politique de la démission de Ben Jaâfar et nous avons décidé d'éviter les dissensions et les divisions qui pourraient découler de son remplacement à la présidence de l'ANC». «Les promesses électorales, il n'y a que les électeurs qui y croient» «D'abord, le fait de démissionner de son poste de président de l'ANC est un engagement moral. Malheureusement, dans la vie politique tunisienne, il n'y a plus de morale. Et le meilleur exemple, c'est bien l'engagement pris en septembre 2011 par 11 partis politiques pour que la rédaction de la Constitution ne dépasse pas une année. On a mis trois ans pour aboutir à la Constitution du 27 janvier 2014», souligne Néji Jalloul, membre de l'équipe dirigeante de Nida Tounès. «Ben Jaâfar n'en est pas à sa première promesses non tenue. Aujourd'hui, l'essentiel des hommes politiques tunisiens appliquent l'adage de l'ancien ministre français Charles Pasqua : ‘‘Les promesses électorales, il n'y a que les électeurs qui y croient''. C'est pour cela que les Tunisiens boudent la classe politique», dit-il en substance.