Les deux tiers des grossesses non prévues surviennent chez les femmes qui utilisent un moyen contraceptif. «La contraception : un choix qui protège votre santé et votre avenir», tel est le thème de la Journée scientifique organisée, avant-hier à Tunis, par l'Office national de la famille et de la population ( Onfp ) dans le cadre, notamment, de la célébration de la Journée mondiale de la contraception. La contraception est, par définition, une pratique médicale visant la planification des grossesses voulues à travers la lutte contre les grossesses non désirées. Au-delà de son objectif premier, cette méthode présente d'autres vertus d'ordre sanitaire, démographique et socioéconomique. La rencontre invite les spécialistes à s'arrêter sur le parcours de la Tunisie en matière de politique contraceptive afin de réfléchir, désormais, sur les défaillances et sur les solutions envisageables. La première séance a permis à trois figures féminines d'exposer un thème féminin par excellence. Le Dr Hédia Belhadj a commencé par dresser l'état des lieux international. Aujourd'hui, et en dépit des avancées observées, tant sur le plan médical que sur celui législatif, de notables contraintes continuent à priver les femmes de leurs droits d'accès aux méthodes contraceptives. La cartographie mondiale nous montre, en effet, une disparité flagrante. D'ailleurs, à titre indicatif, près de 80% des pays dans le monde exigent une ordonnance médicale pour la vente des pilules contraceptives. En Afrique, ce moyen contraceptif est dépourvu de toute subvention ce qui le rend inabordable pour les femmes à faible revenu. Par ailleurs, si la loi tend de plus en plus à libérer l'avortement ou l'interruption volontaire de la grossesse ( IVG), elle semble négliger le dossier de la contraception. L'oratrice a insisté sur la responsabilité de l'Etat en tant que garant de la promotion de la pratique contraceptive et de l'accès infaillible aux moyens et aux prestations spécifiques. «Des services accessibles, acceptables et de bonne qualité sont de mise. Le dialogue sociétal, poursuit le Dr Belhadj, doit tabler sur la sensibilisation et veiller à l'exercice du droit à la contraception. D'autant plus qu'il est grand temps de promouvoir la recherche en matière de contraception surtout que nous utilisons encore des méthodes datant des années 80... ». Prévalence et variables De son côté, le Dr Jalila Attafi a mis l'accent sur l'état des lieux de la couverture contraceptive à l'échelle nationale. En 2006, le taux de la prévalence contraceptive avait baissé d'un cran, passant de 66,1% en 2001 à seulement 55,7% en 2006, chose qui avait mis la puce à l'oreille des spécialistes. L'étude Misc 3 (2009 ) avait certifié la baisse du recours des Tunisiennes à la contraception, en dévoilant les variables de ce changement. Il s'agit de quatre variables ou groupes. Le premier concerne les femmes issues des régions de Kasserine et de Sidi Bouzid, et plus exactement, des zones rurales. Ces femmes n'utilisent pas des moyens contraceptifs. Analphabètes, vivant dans la précarité et exclues de la vie active, elles s'opposent au groupe de femmes pro-contraception. Ce dernier représente les Tunisiennes habitant le Grand-Tunis, et donc le milieu urbain Des femmes instruites et jouissant d'une certaine aisance matérielle. D'un autre côté, le Dr Attafi a évoqué deux autres groupes opposés l'un à l'autre : les femmes de moins de 24 ans et mamans d'un seul enfant. Ces femmes se méfient des méthodes contraceptives, contrairement aux femmes de plus de 44 ans et mères de trois ou quatre enfants. L'oratrice a souligné, en outre, que le recul de l'âge du mariage influe négativement sur la prévalence contraceptive. Parallèlement à ces extrêmes, d'autres disparités marquent la pratique contraceptive. Si les Tunisiennes issues du milieu urbain privilégient les moyens contraceptifs dits naturels, les femmes rurales continuent à préférer la ligature des trompes. La Mics 4 ( 2012) montre, par ailleurs, que la prévalence contraceptive se situe à 62,5% et que 50% des femmes utilisent un moyen contraceptif moderne contre 12,5%, traditionnel. De son côté, le Dr Salma Hajri, présidente de l'association Groupe Tawhida Ben Cheikh, a insisté sur l'importance de la légalisation de l'avortement pour lutter efficacement contre la mortalité maternelle surtout que 13% des cas de décès maternels sont dus à l'avortement clandestin. Les pays connaissant une évolution positive de la prévalence contraceptive se distinguent, en conséquence, par un faible taux de mortalité maternelle. Le Dr Hajri a détaillé les lacunes entravant la contraception, dont l'inaccessibilité aux moyens contraceptifs, leur mauvaise utilisation, leur inadaptation à certains cas sans oublier le peu de cas accordé par certaines femmes à ces méthodes et l'absence d'une éducation sexuelle et reproductive dans les programmes scolaires. Ces lacunes convergent vers l'inefficience de la lutte contre les grossesses non désirées. Et pour preuve : les deux tiers des grossesses non prévues surviennent chez les femmes qui utilisent un moyen contraceptif. L'oratrice a souligné l'importance du counciling, de la prise en charge spécifique des femmes n'acceptant pas les méthodes contraceptives et de l'exploration du champ affectif et sexuel du couple.