Par Khaled TEBOURBI Mûsîqât a démarré un peu plus tôt cette année. C'est une bonne chose. D'abord, parce qu'en automne, on sera plutôt occupé par les élections. Ensuite, parce que, ainsi, il n'y aura pas pause : pas de «long» vide après les festivals d'été. Et Mûsîqât est un prolongement de choix. Les huit éditions qui se sont succédé depuis 2005 en ont largement administré la preuve. La 9e qui en sera, ce soir, à son quatrième concert (épilogue imminent déjà !) est du même acabit. Ces musiques, chants et danses du monde inspirés de la tradition attirent et séduisent immanquablement, repris ou nouvellement créés. Pourquoi ? Simplement, car les arts du patrimoine (ceux que le temps immortalise)ont ceci à la fois :le génie transmis et la «norme immuable». Quand nous écoutons un foundou, un quawali, du flamenco ou du folk irlandais, ce sont les prouesses de peuples «millénaires» qui s'offrent à nous; ce qui les distingue et les identifie par-delà les siècles et les générations. Leur marque pérenne. Leur plus précieux ancrage. Il n'y a pas que de la nostalgie dans notre rapport, presque «chauvin», à la musique populaire ou traditionnelle, il y a le désir du «legs hérité». «La tradition est la moitié de la modernité», disait Baudelaire. Ce bel aphorisme est plein de sens. Il rappelle aux règles de l'Art. L'Art évolue, se transforme, rompt avec le passé, épouse son époque, comme on dit : il n'a plus d'existence dès lors qu'il renie les normes qui le constituent. C'était l'idée de Baudelaire : la modernité la plus audacieuse, la plus «folle», ne tient sa force qu' à sa conformité aux règles de la tradition. Aux «normes immuables», a-t-on dit. Les musiques néo- traditionnelles de Mûsîqât en sont la démonstration depuis neuf années : on y propose, de diverses régions du monde, des créations «contemporaines», nouvelles, mais, dans leurs structures, leur écriture, jusque parfois, dans leur style d'interprétation, de purs «prolongements» de chefs-d'œuvre des répertoires anciens. Double plaisir, double dégustation, en fait :mémoire et mémoire renouvelée. C'est sûrement la raison pour laquelle, pendant Mûsîqât, la salle d'Ennejma Ezzahra ne désemplit jamais. Les Tunisiens sont décidément conservateurs; d'aucuns commentent : «C'est bon pour la musique, mais pas tellement recommandable si l'on veut élire de bons gouvernants pour notre pays». A méditer.... Reste, peut-être, une meilleure explication, à chaque fois ressassée ici. Mûsîqât est un joyau de festival, et son public est aussi fidèle qu'avisé, la salle d'Ennejma demeure, hélas, trop exiguë pour tout cela. Dire que c'est juste ce qu'il faut pour des concerts à vocation «culturelle» n'est pas, forcément, démontré. Nombre d'artistes qui passent par Mûsîqât, depuis 2005, sont connus et reconnus mondialement, rien ne prouve qu'avec une com. adéquate ils ne parviendraient pas à remplir de plus vastes théâtres. En tout état de cause, Mûsîqât ne gagne, sans doute pas, grand-chose à rester confiné dans « son petit réduit».On s'interroge toujours : que perd-on vraiment à «décentraliser» l'événement pour aller récupérer des publics un peu plus larges ? Du «prestige», de «l'aura» ? Oui, mais répandre la grande musique et hisser la culture un peu plus haut, n'est-ce pas ce que nos élites appellent, le plus, de leur vœu ?