Déroutant siège. Dans un réduit de moins de 5 km, quelques milliers de combattants kurdes défendent la ville de Kobané, en Syrie, désertée par ses 140 000 habitants et réfugiés. L'ennemi, l'Etat islamique, est plus nombreux, mieux armé. Aujourd'hui, Mardi 7 octobre 2014, les combats ont atteint le centre-ville. Pendant ce temps, à quelques centaines de mètres de là, en Turquie, des dizaines de journalistes épient de loin une guerre qui se déroulait depuis des mois à huis clos. A leur côté, des civils et combattants kurdes, impuissants. Et puis il y a aussi des troupes turques cantonnées à un poste-frontière. Car si la coalition internationale contre l'Etat islamique bombarde les positions des jihadistes dans l'espoir de sauver Kobané, Ankara souffle le chaud et le froid en empêchant d'un côté les renforts kurdes de passer par la frontière, en réclamant de l'autre une intervention terrestre de la coalition. Voici pourquoi la Turquie ne lève pas le petit doigt pour sauver Kobané. Une autre partie de l'opinion, les nombreux Kurdes de Turquie (15 à 20 millions des 80 millions de Turcs) réclament à cor et à cri l'intervention du gouvernement dans la troisième ville du Kurdistan syrien. Depuis sa prison, le leader des rebelles du Parti des travailleurs kurdes (PKK) a menacé d'interrompre le processus de paix en cours. Quant au principal parti kurde de Turquie et quatrième parti au Parlement, le Parti démocratique du peuple, il a appelé tous les Kurdes de Turquie à descendre dans la rue pour dénoncer l'entrée des jihadistes de l'EI dans la ville de Kobané. Le pays est agité par des manifestations et des violences. Mais Recep Tayyip Erdogan s'est refusé à apporter son soutien aux Kurdes de Syrie. C'est que le PYD, l'organisation kurde en Syrie, est une branche du PKK turc, considéré comme une organisation terroriste en Turquie. Intervenir, ce n'est pas dans les habitudes de la Turquie Aujourd'hui, aucun pays de la coalition ne s'est engagé dans une opération terrestre contre l'Etat islamique. Si Ankara décidait d'envoyer ses troupes au secours des kurdes de Kobané, la Turquie deviendrait la tête de pont de la lutte contre les jihadistes. Or, ce n'est pas dans la tradition de la Turquie de combattre chez ses voisins. Depuis la première guerre mondiale, Ankara s'est tenue à l'écart des conflits de la région, à l'exception de Chypre, en 1974. Ainsi, bien que membre de l'Otan, elle ne s'est pas impliquée dans la première guerre du Golfe et a refusé que les Etats-Unis attaquent Saddam Hussein depuis son sol, lors de la seconde. A Ankara on considère volontiers qu'»on ne doit pas s'engager, sauf si on est attaqué», analyse Jean Marcou, enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble. «L'action politique de la Turquie est d'abord motivée par ses intérêts étroits.» Ainsi, l'envoi de troupes turques en Syrie n'est certainement pas à l'agenda. Ankara ne s'engagera pas, «sauf s'il y a une raison qui touchait à sa sécurité immédiate ou si la coalition internationale s'engage à combattre aussi contre Bachar Al-Assad», explique ce spécialiste de la Turquie.