Par Abdelhamid Gmati L'évolution touche tous les domaines et ce qui était hier la norme change pour revêtir d'autres aspects, d'autres attributs. Le journalisme n'échappe pas à cette évolution inéluctable. Aussi bien en France, en Europe, dans le monde, que chez nous. Hier, on se consacrait essentiellement à l'actualité et les faits étaient «sacrés», comme on l'enseigne dans les établissements de formation. Aujourd'hui, les journalistes, et partant les médias, se substituent à ceux qui font l'actualité et tiennent la vedette. Cette semaine, deux chaînes de télé ont fait l'actualité chez nous : une française et une tunisienne. Pendant trois jours, on n'a parlé que de l'émission «Enquête exclusive ; le trésor caché du dictateur», diffusée par la chaîne M6. Disons tout de suite qu'il n'y avait rien d'exclusif dans cette enquête et que les images proposées et les faits évoqués étaient connus par les téléspectateurs tunisiens. Alors, pourquoi le tollé qui s'en est suivi ? Notre journal en a rendu compte dans son édition de mardi. Ce qui a provoqué l'ire d'un grand nombre de Tunisiens, c'est le traitement de l'information qui en a été fait. En bref, on a estimé que l'émission était clairement orientée et ne visait essentiellement qu'à redorer l'image du mouvement Ennahdha et celle du président provisoire de la République, Moncef Marzouki. Diffusée à 15 jours des législatives, cette émission est considérée comme une ingérence étrangère dans les élections tunisiennes. On s'en est pris à la chaîne française, mais aussi et surtout à son journaliste Bernard de la Villardière, dont on a rappelé les accointances avec le régime dictatorial qui lui accordait des faveurs sonnantes et trébuchantes. Parmi les reproches faits à cette émission, on a relevé quelques contrevérités, comme celle de présenter la commémoration de l'assassinat de Chokri Belaïd comme une manifestation hostile à l'ancien régime ; certes, elle était hostile, mais au gouvernement islamiste au pouvoir. On apprendra aussi que l'interview accordée par notre ministre du Tourisme, Amal Karboul, au journaliste n'a pas été diffusée. Pourquoi ? La grande interrogation concerne l'identité des commanditaires. Il appert que cette émission était préparée depuis l'an dernier et que son coût est de l'ordre de 1,2 MD. Qui a réglé la note ? Espérons que l'on n'a pas puisé dans les deniers publics. Quoi qu'il en soit, et comme le spécifie notre journal, l'effet escompté n'a pas été atteint, bien au contraire. L'arroseur arrosé, en quelque sorte. De plus, l'investissement n'a pas été bien étudié, car l'émission n'arrive qu'à la 7ème position avec uniquement 3,5% d'audience (correspondant à 350.000 téléspectateurs) et 12% de part d'audiences. Cela s'explique par la faible pénétration des chaînes françaises. Voilà donc l'exemple type d'un investissement contre-productif. L'autre émission qui a fait polémique, celle diffusée dans la soirée de mardi par la chaîne Nessma, entièrement consacrée au candidat à la présidentielle, Slim Riahi. Une émission qui a tenté de discréditer le candidat en le présentant comme un faiseur de promesses fallacieuses. Avant sa diffusion, la Haica avait mis en garde la chaîne, rappelant « qu'il était nécessaire de respecter les principes énoncés dans la loi électorale, et de l'accord commun entre l'Isie et la Haica datant du 5 juillet 2014. Bien que les médias bénéficient de la liberté d'expression dans leur couverture de la campagne électorale, ils sont, tout de même, tenus de respecter les principes de neutralité, d'impartialité et l'éthique du métier. Malgré cela, la diffusion eut lieu et la chaîne a récolté 27% de part d'audience. Slim Riahi a indiqué dans un communiqué que «la famille Karoui, Chafik Jarraya et Borhen Bssaïes lui ont demandé la somme de 4 millions de dinars contre la déprogrammation de l'émission qui lui a été consacrée sur Nessma Tv». Là aussi, les premières réactions condamnent la chaîne Nessma, accusée de parti pris, de poursuivre un agenda précis et de transgresser la loi. Un autre arroseur arrosé. Deux exemples, parmi d'autres, de cette évolution du journalisme où la vedette revient au journaliste et à son média, au détriment de ceux qui font le monde réel.