Aujourd'hui, pour les stratèges du CPR, la bataille oppose le Front du 18 octobre 2005 au Front du 7 novembre. Sauf qu'Ennahdha est farouchement hostile à la division des Tunisiens Décidément, les Tunisiens auront tout vu au cours des quinze premiers jours de la campagne électorale pour les législatives. Et si les dépassements enregistrés jusqu'ici se sont limités aux affichages sauvages, à la destruction systématique des affiches des listes concurrentes, aux accrochages verbaux et à certains cas de violence isolés et maîtrisés à temps, voilà que le CPR a introduit une nouvelle donne à l'atmosphère générale par le biais de Adnène Mansar, directeur de campagne de Moncef Marzouki (qui a déposé son dossier de candidature à la présidentielle au nom du CPR et non en tant que candidat indépendant comme annoncé en grande pompe). L'historien attitré du palais de Carthage estime, en effet, que cette fois-ci les élections législatives opposent deux fronts : le Front du 7 novembre (les destouriens et les nidaistes) et le Front du 18 octobre 2005 (réduit au CPR et à ceux qui l'ont quitté mais continuent à porter ses idées, dont en premier lieu le mouvement Wafa présidé par Abderraouf Ayadi, et amputé d'Ennahdha, du PDP connu aujourd'hui comme Al Jouhmouri, du Poct redevenu le Parti des travailleurs et Ettakatol, qui acceptent que les destouriens et les rcdistes participent à la joute électorale du 26 octobre). Et la polémique de s'installer vivement et immédiatement entre Ennahdha et le CPR. Les déclarations acerbes de Moncef Marzouki divisant les Tunisiens entre porteurs des valeurs de la révolution et de ses objectifs et fossoyeurs déclarés de ces mêmes valeurs ne feront que raviver encore la polémique en question, au point que l'on est amené à parler «d'un hold-up de l'histoire». Une précision s'impose d'emblée : pour rendre à César ce qui appartient à César, il faut souligner qu'Ennahdha s'est démarqué, dès les premiers jours de la naissance de la polémique des propos proférés par Adnène Mansar en lui rappelant, par la plume de Lotfi Zitoune, conseiller politique de Rached Ghannouchi, qu'il est inadmissible de tordre le cou à l'histoire, de déformer des faits qui datent de moins de 10 ans et de s'approprier l'honneur d'être le concepteur ou le moteur d'une initiative à laquelle le CPR n'a pas pris part car ce parti n'existait pas à l'époque et que Moncef Marzouki, futur créateur du CPR et actuel président provisoire de la République, a dénoncée à l'époque. Et Lotfi Zitoune de rectifier les erreurs de Mansar pour réaffirmer que le mérite de la naissance du Collectif du 18 octobre 2005 revient exclusivement à Néjib Chebbi, président du PDP à l'époque et aujourd'hui candidat d'Al Joumhouri, au palais de Carthage. Lotfi Zitoune estime également qu'il n'est plus question de diviser les Tunisiens et de les classifier entre révolutionnaires authentiques et réactionnaires à l'affût pour torpiller ce qui a été réalisé jusqu'ici. Un clientélisme de bas étage Mais qu'en pensent les destouriens qui reviennent en force sur la scène politique nationale, ainsi que les nidaistes dont le parti est accusé d'être la couveuse du RCD défunt et qui sont les premiers concernés par la nouvelle rhétorique du CPR ? Nizar Ben Saâd, membre de la direction du parti Al Moubadara dirigé par Kamel Morjane, candidat du parti à la présidentielle, ne mâche pas ses mots : «Qu'un historien procède à pareille dichotomisation des Tunisiens entre avant-gardistes et réactionnaires, c'est se livrer à un prosélytisme actif tous azimuts, ne lésinant sur aucun effort de manœuvres insidieuses pour faire diversion par rapport aux préoccupations éminemment actuelles des Tunisiens au profit d'intérêts purement clientélistes et idéologiques», tempête-t-il. Il ajoute : «Et c'est à son honneur qu'Ennahdha a démasqué ce clientélisme de bas étage. Quant aux destouriens, ils font fi de ces déclarations péremptoires, qui en disent long sur un état d'esprit pour le moins rétrograde». Un non-sens politique «Adnène Mansar théorise pour une mentalité de hold-up, de mensonge et de non-sens historique. Le Collectif du 18 octobre 2005 est né pour faire tomber la dictature de Ben Ali. Repenser aujourd'hui cette coalition à la veille des élections législatives et présidentielle n'a plus aucun sens historique parce qu'il n'y a plus de dictature», fait remarquer Néji Jalloul, membre du bureau exécutif de Nida Tounès. «Faut-il rappeler à ceux qui semblent l'oublier que Moncef Marzouki a dénoncé en 2005 la création du Collectif du 18 octobre», fait-il remarquer. Quand le directeur de campagne de Marzouki prétend que «la Troïka défunte est bien l'incarnation du collectif du 18 octobre 2005, il ne fait que tordre le cou à l'histoire. Pis encore, c'est un véritable hold-up de l'histoire. Et les documents de l'initiative sont là pour prouver que seule Ennahdha était dans le collectif, les vidéos et les photos publiées par la presse ne comportent aucun visage du CPR, encore moins d'Ettakatol», conclut-il. Marzouki et les stratèges qui l'entourent et le conseillent ont-ils compris qu'Ennahdha l'a définitivement lâché et a décidé de voir ailleurs «le président consensuel qui serait ami du parti et qui ne lui déclarerait pas ouvertement son opposition ?».