JALALABAD, Afghanistan (AP) — Qari Rahmat, 28 ans, membre de la tribu des Shinwari, a accepté cette semaine de coopérer avec les Américains. Un revirement majeur, le premier du genre, d'un chef tribal qui jusque-là figurait en bonne place sur la liste des personnes les plus recherchées par les Américains, accusé de servir d'intermédiaire avec les talibans et soupçonné d'être le principal responsable du trafic de drogue dans le sud-est de l'Afghanistan. Le mois dernier, 170 anciens de la puissante tribu des Shinwari, la plus importante de la province de Nangarhar (Est, frontalière avec le Pakistan), ont signé un accord avec les autorités afghanes, pour chasser les talibans de la zone. En échange, les Etats-Unis leur ont promis plus d'un million de dollars (727.000 euros) d'aide au développement. Mardi, Qari Rahmat était donc sur la base américaine de Jalalabad, pour négocier, autour de fruits et de boissons gazeuses, aux côtés d'une dizaine d'anciens barbus, avec les militaires américains et la police afghane. Jusqu'à cette semaine, il figurait sur la liste des personnes les plus recherchées, accusé de servir d'intermédiaire avec les talibans et de superviser tout le trafic de drogues du sud et de l'est, dans la province de Nangarhar, située à l'est de Kaboul, à la frontière avec le Pakistan. Son serment d'allégeance à la loi et à la Constitution afghanes est le premier du genre et les Américains espèrent qu'il servira à convaincre les autres chefs tribaux de faire de même. Il pourra s'inscrire dans le programme gouvernemental pour talibans repentis. Mais si Qari Rahmat trahit ses engagements, les siens le condamneront à une amende pouvant atteindre les 20.000 dollars (14.500 euros). ''Et nous brûlerons sa maison'', a expliqué Ousman, un ancien des Shinwari. De leur côté, les Américains ont renoncé à arrêter Qari Rahmat, estimant que construire une relation de confiance avec la tribu était bien plus important, explique le lieutenant-colonel Randall Simmons, qui commande les quelque 500 soldats américains du secteur. ''Nous pourrions passer nos journées à tuer ces gars-là, comme nous l'avons déjà fait mais dès que vous en éliminez un, un autre prend sa place'', ajoute-t-il. Les Shinwari doivent maintenant se mettre d'accord sur la destination des fonds reçus des Américains: construction d'hôpitaux, d'écoles... Jusqu'à présent, ils travaillaient avec des budgets américains plus réduits, comme pour construire des ponts ou pour drainer des canaux. Ce type de stratégie américaine, basée sur l'expérience de l'Irak et les accords passés avec les tribus qui se sont retournées contre les insurgés et Al-Qaïda, est en outre controversé. Pour beaucoup d'observateurs, les deux pays sont bien trop différents pour être comparés. ''Les 'tribus' en Afghanistan ne se comportent pas comme un groupe uni, contrairement à ce qui s'est passé récemment en Irak'', peut-on lire dans une étude publiée en septembre par l'armée américaine. Et le président afghan Hamid Karzaï s'est souvent plaint que trop d'aide, distribuée directement aux agents sur le terrain, contourne son gouvernement, minant selon lui son autorité. Les Shinwari, qui sont au moins 600.000 dans cette région, sont un cas un peu à part en Afghanistan : ils ont évité les déchirements internes et sont restés unis pendant des décennies de guerre. Et comme ils dominent les six districts de la province, il ne reste guère d'espace pour les talibans... En revanche, ce type de pacte avec les tribus semble bien plus difficile à mettre en place dans les provinces du Sud, notamment celle de Kandahar, fief des talibans, où les militants ont assassiné d'innombrables anciens trop proches du gouvernement à leur goût.