Le bureau d'Amnesty International de Tunisie a remis, avant-hier, à la secrétaire d'Etat chargée des Affaires de la femme et au ministre de la Santé, une pétition comptant 198.128 signatures, appelant les autorités à doter les femmes victimes de violence sexuelle de la protection et de la prise en charge qui leur reviennent de droit. Cette action témoigne de l'ampleur que prennent les formes de violences sexuelles, notamment après la révolution. Des violences qui reflètent les intentions machistes et obscurantistes d'anéantir la femme et de la délester de ses acquis et de son droit à l'intégrité physique et à la dignité. La pétition a été remise au cours d'une table ronde régionale, organisée à Gammarth par le bureau d'Amnesty International de Tunisie et portant sur la lutte contre les violences sexuelles à l'encontre des femmes. Rappelons que cette rencontre s'inscrit dans le cadre d'une campagne lancée par la partie organisatrice et ayant pour slogan : «Mon corps, mes droits». L'activisme d'Amnesty International de Tunisie au sujet de la violence sexuelle à l'égard du genre trouve son fondement dans l'écart flagrant entre la loi et son application. Pour M. Lotfi Azouz, directeur du bureau d'Amnesty International en Tunisie, la législation tunisienne est jugée comme étant moderne et pro-féministe à plus d'un titre. La préservation des acquis de la femme via la Constitution ainsi que la levée des réserves sur la convention de lutte contre la discrimination et la violence à l'égard des femmes (Cedaw) en sont des preuves palpables. Néanmoins, se conformer à ces textes nationaux et internationaux n'est toujours pas la règle. «Depuis la révolution, la femme tunisienne subit plus de violence, tant dans l'espace public que privé. Dans le premier cas, les agressions s'avèrent plus fréquentes car favorisées par une certaine fragilité de l'Etat. Pour ce qui est des violences opérées dans le cadre de l'espace fermé ou familial, elles restent souvent impunies. D'ailleurs, l'article 227 du Code pénal accorde à l'agresseur la possibilité d'épouser sa victime et d'échapper ainsi à la punition, ce qui est, désormais, inadmissible», indique M. Azouz. Et d'ajouter que la présente pétition constitue une initiative de la société civile afin d'inciter les parties concernées à lutter contre la discrimination du genre et à l'instauration d'une législation garante de la protection et de la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles. Le responsable souligne l'impératif de traiter les dossiers de violences sexuelles avec plus de sérieux et d'introduire l'éducation sexuelle dans le programme scolaire. De son côté, le Dr Hichem Chérif, sexologue, pointe du doigt la répression qu'opère la Haica sur les médias qui traitent des thèmes ayant trait à la sexualité. Pour lui, la censure entrave l'information sexuelle, surtout qu'il y a un déficit éducatif sexuel dans le système de l'enseignement. Le sexologue précise que la violence sexuelle suit une courbe croissante en raison de la non-constitutionnalisation des droits sexuels. Question du genre et l'effet élastique Depuis l'Indépendance, la femme tunisienne se distingue parmi ses semblables arabes par des acquis pro-féministes. Depuis, les militantes de la société civile et pour les droits de l'Homme ne cessent d'œuvrer sans relâche afin de renforcer lesdits acquis. Avant la révolution, les féministes n'aspiraient qu'à la suppression des réserves sur la Cedaw et à la consolidation du Code du Statut Personnel (CSP) par de nouveaux acquis. «Cependant, et contre toute attente, nous nous sommes retrouvées, après la révolution, face à une priorité plus délicate : préserver les acquis contre les intentions anti-féministes et obscurantistes !», avoue Mme Balkis Mechergui, représentant la Fédération internationale des droits de l'Homme (Fidh). L'oratrice rappelle, d'ailleurs, que la levée des réserves sur la Cedaw n'a été effectuée dans les règles de l'art — c'est-à-dire à travers un communiqué adressé par la Tunisie à l'Organisation des Nations unies l'informant de l'intention confirmée de lever les réserves — que suite à des protestations répétées de la société civile. D'un autre côté, l'oratrice rappelle à l'assistance que la Tunisie n'a toujours pas réussi le pari sur le principe de la parité entre hommes et femmes. La femme ne comptera que 30% du nouveau parlement... L'Etat et ses engagements pro-féministes L'Etat doit prévenir, lutter, incriminer la violence sexuelle à l'égard du genre et doter les victimes d'une attention particulière. Il doit aussi se conformer au principe de la non-discrimination et à celui de la participation à la lutte contre la violence à l'encontre des femmes. Tels sont les principaux engagements que doit honorer un Etat qui a ratifié la Convention Cedaw ainsi que son protocole complémentaire. Des principes que rappelle Mme Christina Zampas, conseillère juridique principale au secrétariat d'Amnesty International. Elle souligne, par ailleurs, que la loi doit être neutre et équitable face aux différences identitaires et au genre. La loi internationale exige de la part de l'Etat des comptes à rendre à la société civile sur l'application des textes juridiques tant nationaux qu'internationaux. Cependant, les lois sur la violence sexuelle ne sont pas toujours respectées. En Tunisie, par exemple, le viol est identifié par la loi. Ce qui n'empêche pas les juristes de recourir souvent au code de l'honneur et de fonder les textes sur des hypothèses, ce qui lèse les droits des victimes. L'oratrice appelle l'Etat à assumer ses obligations d'enquêtes et de poursuites pénales à l'encontre des agresseurs. La convention d'Istanbul, par exemple, accorde à la victime la possibilité de signer un rapport, suite auquel le procureur peut poursuivre juridiquement l'agresseur même après que la victime eut retiré sa plainte. Une telle mesure concrétise la volonté confirmée d'incriminer la violence sexuelle. L'oratrice recommande l'accès sans faille des victimes aux programmes de réhabilitation, à l'information, aux prestations de soutien et à l'examen médico-légal.