Radhia Dridi, présidente de l'Association des Femmes Tunisiennes Pour la Recherche sur le Développement (AFTURD) : - La lutte contre les pratiques discriminatoires sera encore longue- La situation de la femme en Tunisie est considérée exceptionnelle à l'échelle du monde arabo-musulman. Une originalité culturelle caractérise l'approche tunisienne de la condition féminine et fait que la Tunisie est l'un des rares pays musulmans où les femmes n'ont pas beaucoup à se plaindre de leur sort. La Tunisie a connu très tôt l'éclosion d'une pensée spécifiquement féminine. Le contrat de Kairouan prohibe la polygamie, les multiples fatwas du Fiqh malékite octroient de nombreux droits aux Tunisiennes. Le CSP n'est pas seulement un ensemble de lois et d'acquis juridiques, il touche aux mœurs, aux mentalités, aux rythmes de la vie, à l'organisation du quotidien, il interroge tout rapport humain. ll a rendu légitimes des pratiques jugées jusqu'alors illégitimes tout autant qu'il a rendu illégitimes des situations considérées comme naturelles. Cette situation n'a pas empêché les femmes de militer pour ancrer cette culture d'égalité et de partenariat avec l'homme. Les organisations de la femme redoublent d'efforts pour combattre les préjugés défavorables à l'égard de la femme dans les médias et la société et pour consolider les acquis en insistant sur la ratification sans réserve par l'Etat tunisien de toutes les conventions internationales relatives à la situation des femmes. Parmi ces associations, l'Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD) milite depuis 20 ans déjà sur la voie du progrès de la femme. Le Temps a saisi l'occasion de son 20ème anniversaire pour exposer les problématiques qu'elle soulève.
Radhia Dridi, présidente de l'Association des Femmes Tunisiennes Pour la Recherche sur le Développement (AFTURD) : - La lutte contre les pratiques discriminatoires sera encore longue-
Le Temps : Quelles sont les spécificités de l'AFTURD par rapport aux autres organisations féministes ? Mme Radhia Dridi : L'Association des Femmes Tunisiennes Pour la Recherche sur le Développement(AFTURD) est née officiellement en janvier 1989 dans le prolongement du mouvement féministe des années 80. Elle regroupe des femmes chercheurs ou intéressées à la recherche. Elle a pour principal objectif d'entreprendre une recherche à la fois militante et critique sur tout ce qui touche les femmes. A travers les recherches entreprises, nous nous sommes fixés notamment comme but d'identifier les freins et les obstacles limitant la participation des femmes au développement. Les études de l'AFTURD ont mis à nu les pratiques discriminatoires et les différentes formes de violence contre les femmes. Elles ont également permis d'assurer des assises juridiques et théoriques pour la question de l'égalité dans l'héritage, le harcèlement sexuel et la protection des employées de maison.
Qu'est -ce qui distingue vos activités de celles entreprises au sein des institutions académiques ? - C'est une recherche engagée qui a pour finalité de contribuer à transformer le vécu des femmes et agir sur les mentalités. Elle aide les femmes de terrain à voir plus clair lors de l'élaboration des programmes d'action. La double casquette, acteur social et universitaire, d'une majorité des chercheuses a aidé dans la lutte pour les droits des femmes maltraitées et agressées sous différents angles. Souvent, les recherches réalisées sont diffusées auprès des acteurs politiques a travers différentes rencontres -débats ou à l'occasion des nombreux cycles de formation destinées aux jeunes acteurs de la société civile ou encore sous forme de brochures et de fascicules de vulgarisation à l'intention d'un public très large. Donc, le côté recherche est le plus caractérisant de notre action.
En 20 ans d'existence, quelles sont vos réalisations pour la femme ? - Sur le plan de la production écrite L'AFTURD a à son actif un certain nombre de publications et d'ouvrages collectifs qui ont couvert des champs d'intervention très diversifiés: juridique, économique, social et culturel. Avec une approche pluridisciplinaire, ces ouvrages ont traité des thèmes variés tels que le divorce, le travail, l'héritage, le harcèlement sexuel. Nous avons également produit différents supports écrits et audio-visuels de vulgarisation. L'une des réalisations les plus importantes est la mise en place d'un espace ouvert aux femmes: l'espace "Tanassof " qui est destiné aux femmes en difficulté.
. Si vous présentez le centre "Tanassof" - Ce centre a été créé en 2002. C'est un espace polyvalent de rencontres, d'information, de sensibilisation et de formation. A travers des guichets spécialisés, il offre différents services d'assistance juridique, psychologique et d'orientation professionnelle. Le public cible des projets réalisés dans TANASSOF est composé essentiellement de jeunes femmes en difficulté d'insertion ou de réinsertion professionnelle telles que les diplômées du supérieur, les licenciées économiques suite à la fermeture de leurs entreprises ainsi que toutes les autres catégories de femmes vivant dans la précarité(les aides ménagères, le secteur informel) et victimes de toutes les formes de violence. Cette expérience mérite d'être consolidée en informant davantage les concernées de l'existence du centre et en essayant de le rendre plus opérationnel.
Tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a une exception tunisienne en matière de droits de la Femme. Comment vous évaluez cette exception en tant que militante féministe ? - Il y a indéniablement en Tunisie des acquis modernistes concernant le statut et les droits des Femmes. En matière de statut personnel, la législation tunisienne reste parmi les plus avancées dans le monde arabo-musulman. L'intérêt pour la question féminine s'accroît dans les structures officielles (ministères, offices...) Cependant, en tant que féministe aspirant à un monde sans discrimination sexiste, je vois la moitié vide de la bouteille : le fossé reste béant entre les conventions ratifiées et leur application, entre les droits acquis et le vécu réel des femmes, toutes les lacunes au niveau juridique, les réserves émises a l'égard de la CEDAW, les stéréotypes véhiculés par les médias...etc
. Quel est votre programme d'action pour la prochaine étape ? - Nous sommes actuellement sur un projet en cours de réalisation portant sur une recherche et un film documentaire sur « le harcèlement sexuel », une autre sur " l'appareil judiciaire face aux plaintes des femmes victimes de violences". Au mois de juin, nous organisons la deuxième Université des Jeunes. A l'occasion des 20 ans de L'AFTURD, nous projetons d'organiser des ateliers de réflexion pour faire le bilan des 20 ans de recherche féministe afin d'adapter de nouvelles stratégies au contexte et au vécu de la nouvelle génération. Nous comptons beaucoup sur les médias pour rendre compte de nos différents programmes pour nous aider à parvenir à sensibiliser notre population-cible. Interview réalisée par Mourad SELLAMI