Les rythmes mandingues étaient à l'honneur, mardi dernier, au festival international de Carthage. Après les airs orientaux de Majda Roumi et les rythmes tango du ballet "Julio Bocca", la prestigieuse scène a vibré sur le tempo d'une couleur musicale toute autre, venant tout droit de la Guinée. De blanc vêtu, avec son groupe électrique et ses deux choristes, le maître du Kabo, Mory Kanté, détenteur de la tradition griot, a fait plonger le public dans un monde aux sonorités africaines bien cadencées. Une fusion entre la musique ouest-africaine authentique et la musique internationale, qui a permis à Mory de conquérir le monde et de devenir l'une des icônes de la musique africaine. Mais, malgré sa notoriété internationale, et bien qu'il soit habitué à fouler les planches de la scène du théâtre romain, Mory Kanté n'a pas fait le plein à Carthage ce soir-là. Loin s'en faut. Une bonne partie des gradins et des chaises étaient restés, en effet, vides. Cela dit, l'ambiance ne pouvait pas être fade avec les rythmes forts et endiablés des percussions, avec cette voix originale et enracinée, et avec la fougue d'un artiste qui ne fait pas ses soixante ans. Les déhanchements à la manière subsaharienne étaient donc bien au rendez-vous côté public. Côté scène aussi, puisque Mory Kanté n'a pas arrêté de danser tout au long du concert, pas très loin de ses choristes qui exécutaient, d'un temps à un autre, des numéros de danse africaine traditionnelle. Epoustouflant ! Jouant tantôt à la guitare, beaucoup à la kora, instrument de musique traditionnel typique qu'il a électrifié (cela lui a valu la colère des "vieux", qui l'ont accusé de profanation), Mory a interprété des chansons que l'on connaît, mais il a aussi présenté de nouveaux titres. C'est un chanteur fier de ses racines, de son appartenance, fervent amoureux de son Afrique, mais à la fois tolérant et ouvert sur la culture universelle que nous avons vu sur scène. Mais c'est aussi un artiste très engagé, conscient de sa mission, que nous avons découvert. Pendant le spectacle, il a dédié une chanson à "l'unité nationale en Guinée" et une autre aux femmes militantes du monde entier. Ambassadeur de bonne volonté auprès de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), il a, lors de la conférence de presse tenue quelques heures avant le spectacle dans un hôtel de la capitale, tiré la sonnette d'alarme au sujet du problème du déboisement dans le continent africain. "Si seulement tout un chacun plantait un arbre, personne n'aurait plus faim. Un homme qui a faim n'est pas un homme libre. c'est mon message aujourd'hui, c'est pourquoi je me bats". Mory Kanté, probablement le chanteur africain le plus connu de par le monde, a clôturé son concert carthaginois avec son tube "Yéké Yéké", vendu à un million de disques. Ce fut, ce n'est pas pour nous étonner, le moment le plus fort de la soirée. Un moment d'une rare intensité, dont on doit dire qu'on n'en a pas connu beaucoup d'autres lors de cette soirée.