Timbuktu, La vie d'Adèle, Le fil, Vénus noire ou le Challat de Tunis sont des films qui ont marqué les écrans internationaux ces dernières années et qui portent la signature de Sofiène El Fani en tant que directeur photo. Hommage à un talent hautement sollicité à l'international et à un métier du cinéma qui fait la beauté de l'image et son cachet. Entretien. Vous êtes l'un des jeunes directeurs photo les plus prisés et les plus médiatisés à l'échelle internationale. Quel était le point de départ de cette aventure ? Tout simplement en Tunisie où j'ai fait des études de cinéma et en empruntant le chemin classique, en travaillant comme deuxième assistant d'abord dans des films tunisiens et dans des films étrangers qui se faisaient de temps en temps en Tunisie.Puis, petit à petit, j'ai commencé à évoluer. Je crois beaucoup en la valeur « Travail », à la qualité et à l'exigence. Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, sorti en 2014, est le dernier film sur lequel vous avez travaillé... J'ai rencontré Abderrahmane Sissako lors d'une session des JCC. Lorsqu'il a commencé à travailler sur le film, il m'a invité sur les lieux du tournage en Mauritanie pour faire un repérage. Vu les conditions qui caractérisaient le nord du Mali à l'époque, il n'était pas possible de tourner là-bas et on était obligé de trouver un autre décor qui soit le plus proche de Timbuktu. Il y avait en Mauritanie, pas très loin de la frontière malienne, un village qui avait été créé à la même période que Timbuktu et c'est en fait un village jumeau de la ville en question. C'est aussi le village où le père de Sissako était né. Un très beau village qui était très facile à filmer. Qu'est-ce qui est le plus dur à filmer quand on fait un métier comme le vôtre ? Le plus dur à filmer pour moi c'est lorsque le décor ne m'inspire pas ou me laisse froid. En ce qui me concerne, je pense que c'est un métier où il y a beaucoup de feeling. Il n'y a pas que la technique ! Il y a des fois où il faut beaucoup plus de technicité, mais le feeling est toujours là. Pour moi, il y a plutôt des solutions à trouver et une occasion de mettre à contribution l'inventivité. Des fois, on a du mal à trouver ce qui convient le mieux à une scène. C'est un moment difficile à vivre, mais on finit toujours par trouver un moyen qui peut donner un résultat agréablement inattendu. Il y a des fois où on prend de mauvais choix dans la lumière au départ et puis c'est difficile de s'en sortir. Des fois, on rencontre des scènes très difficiles à découper et on essaie de trouver le meilleur moyen de les représenter. Mais dans chaque film il y a des moments très difficiles et des moments de pure magie. C'est si difficile que ça d'écrire avec la lumière ? C'est difficile si l'histoire ne nous inspire pas, si les comédiens ne donnent pas le meilleur d'eux-mêmes. Pour quelqu'un d'instinctif comme moi, si tous les éléments sont présents: une bonne histoire, un réalisateur inventif qui sait exposer ses idées, et de bons comédiens... on surmonte facilement la difficulté. Maintenant il n'y a pas que la lumière, car on est en train de construire aussi l'histoire du film au côté du réalisateur et ça c'est passionnant. Généralement quand on travaille avec des réalisateurs comme Abdellatif Kechiche, les rapports sont souvent difficiles... Ce n'est pas du tout difficile ! Mes rapports avec Kechiche ou Sissako sont amicaux. Avec Abdellatif Kechiche on a toujours eu une complicité certaine. Je saisis rapidement ses idées. On se comprend parfaitement sur un film et il sait ce qu'il peut attendre de moi et je crois savoir ce qu'il cherche. Ma relation avec Abderrahmane Sissako est plus récente que celle avec Kechiche, mais il a fait en sorte que ce rapport de confiance et de complicité s'installe. Sur Timbuktu on discutait la veille de chaque journée de tournage et on avait ce pouvoir de changer la disposition d'une scène. En tant que directeur de la photographie, quel est votre regard sur le cinéma tunisien aujourd'hui ? Sur le plan technique, je crois que nous avons les compétences requises pour mener à terme des projets au niveau international. Le problème, c'est qu'il faut trouver les bonnes histoires et savoir les écrire et les traiter. Je vois par exemple que le documentaire en Tunisie est très intéressant. Car les gens ont beaucoup de choses à dire et le documentaire et une manière simple et efficace. C'est pour cela que ce genre a trouvé son public en Tunisie. Certains spécialistes sont déçus de la qualité de la création cinématographique actuelle... On s'attendait à mieux après le départ de l'ancien régime... Je trouve qu'il y a toujours moyen de dire les choses sans pour autant être frontal bien entendu. Mais cela n'a jamais été vraiment le problème dont souffre le cinéma en Tunisie. C'est un prétexte que de dire qu'avant, sous la dictature, on ne pouvait pas faire du bon cinéma parce qu'on ne pouvait pas s'exprimer librement.Je pense qu'il faut avoir le talent de raconter une histoire tout simplement. Avez-vous le projet de réaliser votre propre film ? Depuis que j'étais étudiant, je rêvais de faire un film... Maintenant j'ai des histoires qui tournent dans ma tête, mais pour le moment je laisse décanter...