Du 8 au 11 janvier, s'est tenue, à l'espace Sidi Ali Azzouz de Nabeul, la 1ère édition d'une nouvelle manifestation artistique baptisée «Fann Z'mên» qui se veut un retour aux grands répertoires du monde arabe et maghrébin du début du XXe siècle. Il y a lieu, malheureusement, de déplorer le déficit cruel de communication ayant marqué la naissance de cette manifestation qui ambitionne, d'une année l'autre, de proposer à son public le suc de la musique arabe d'Orient et du Maghreb. C'est à croire que seul le bouche-à-oreille a fonctionné comme il a pu, un peu timidement en fin de compte. Etaient pourtant au programme une troupe du Maroc (le 8), une d'Algérie (le 9) et celle de la Rachidia de Kélibia (le 11). Résultat : trois soirées en présence d'un public bien rare, n'assurant même pas le cinquième de la capacité d'accueil d'un espace très sympathique ne jaugeant d'ailleurs que juste 130 places. Dommage ! Pour la soirée du 10, il a fallu la touche bien nécessaire d'un professionnel de la communication grâce auquel trois rangées de sièges supplémentaires ont dû être ajoutées en catastrophe. Ce samedi 10, à l'affiche... (pardon : il n'y avait même pas d'affiche), une Tunisienne résidant en France : Abir Nasraoui. Un nom qui n'a plus besoin d'être présenté ni de faire ses preuves. Quelles autres preuves ? Cette artiste, en l'espace d'une petite décade, s'est produite dans de nombreux pays à grande valeur culturelle, tels le Maroc, le Mexique, l'Angleterre, la Belgique, Dubaï, la France évidemment, etc., et a eu, pour compagnons sur scène, divers orchestres de différentes nationalités. Le style Abir Depuis plusieurs années, est née une expression dans les milieux artistiques qui sonne comme une trouvaille intelligente et est restée très en vogue et à la mode, mais qui, au fond, ne convainc point : «le mariage des cultures» ou des genres. Il n'échappe à personne que cette expression est elle-même née d'un dictat international : la globalisation ou, en termes plus évidents, l'uniformisation des cultures. Il n'y a pas, nous semble-t-il, un procédé plus vilain que celui qui tend à frelater, dénaturer et déformer la culture d'un peuple en la malaxant, avec d'autres, dans un même moule. Beaucoup s'y sont essayés : luth et piano, saxo et qanûn, mezoued et orgue... Résultat : «abâtardisation» grotesque des genres, chaque culture s'est trouvée amputée de son âme. A trop chercher la richesse culturelle, on est tombé dans la bêtise culturelle où plus personne ne se reconnaît. Il faut dire que Abir Nasraoui a failli tomber dans le piège. Dans sa quête de nouvelles expressions, elle s'est entichée, il y a deux années, du tango qu'elle a joué avec un orchestre mexico-argentin. Mais elle a fait preuve de beaucoup d'intelligence en collant au genre le maximum possible et en épousant le registre jusque dans ses plus petites nuances et subtilités. En un mot comme en mille : respecter le genre dans toutes ses règles pour ne pas agresser l'ouïe. De l'amalgame des genres, on ne sort que très rarement indemne. Samedi dernier, donc, Abir, accompagnée d'un orchestre jeune mais très professionnel, a joué jusqu'au fond le jeu de «Fann Z'mên», ces airs des monstres sacrés de la musique arabe. Pour l'occasion, elle a pris au mot le slogan de la manifestation (z'mên) en choisissant pour thème «Ezzemên», ici au sens de Temps. D'entrée de jeu, Abir interprète Ah ya Zemên de la sublime Marie Jibrane (Syrienne). Excusez du peu, mais dans ce «Daour» d'une rare beauté, Abir a tout simplement frôlé la perfection. Puis, avec la même veine et le même talent, elle s'attaquera au Grand de tous les Temps, Mohamed Abdelwaheb, en lui empruntant la magnifique Imta Ezzemên ; on voulait simplement qu'elle la réussisse, mais elle a fait mieux : elle a excellé ! De Jibrane à Abdelwaheb, il ne restait plus qu'un petit pas vers la grande Ismahène que Abir a franchi avec autant de succès : Farreq mê binna, lyh ezzemên. Soit. Mais Abir n'aime pas être un simple, quoique réussi, écho des autres. Elle a son mot à dire. Et ce mot n'est autre que son propre album sorti il y a quelques années sous l'intitulé «Heyma» et dont elle a interprété quelques chansons où c'est l'âme tunisienne qui, dans tous ses états, vous interpelle, vous séduit et vous conquiert. Telle cette chanson taillée à sa mesure : El wah'ch wel ghorba jarou âlayya (la traduction n'est pas aisée, mais on va dire à peu près : la séparation et l'exil m'ont éreintée), car Abir est plus présente en France que dans son pays. Mais c'est peut-être ça le secret de l'art : ne le réussissent que les âmes blessées. Tant pis si à chaque blessure répond une consécration. Abir est sûrement le futur du tarab au féminin —très— singulier.