C'est un nouvel hommage, peut-être le plus significatif, qui vient d'être rendu à la grande figure de la chanson engagée de Tunisie, le regretté Hédi Guella qui nous a quittés il y a près d'un an et demi. Il s'agit de la reprise par l'artiste Abir Nasraoui du célèbre Babour Zammar, déclamé aux publics français et tunisien au milieu des années 1970. Le hasard des jours a voulu que cette chanson enregistrée à Paris en ces années-là, le soit de nouveau dans la capitale française. C'est que Abir Nasraoui a élu domicile à Paris depuis un peu plus d'une décennie, où elle est productrice d'émissions auprès de Radio Monte-Carlo International et où elle a déjà enregistré son premier album, Heyma, avec le concours de l'Institut du Monde arabe. Pourquoi la reprise de cette chanson particulièrement ? Pour deux raisons. D'abord, un hommage à la mémoire du grand artiste Hédi Guella dont Babour Zammar fut, malgré bien d'autres, le tube le plus connu dans le monde maghrébin. Ensuite, un hommage poignant à la mémoire des victimes de Lampedusa, ces créatures laissées pour compte dans leurs pays respectifs et qui, en désespoir de cause, ont choisi l'émigration clandestine avec un vague espoir de briser son cou à un sort acharné et cruel. Ironie des jours, Babour Zammar était, en ces années 1970, l'expression d'un ‘‘exil'' volontaire dans les pays des Lumières (la France notamment) en quête de liberté et d'une marge de création pas toujours évidentes dans les pays maghrébins, les volontaires étant à cette époque-là des étudiants partis à la recherche du Savoir et de la Connaissance au prix de la séparation d'avec le pays natal, la famille, les amis... De nos jours, la même chanson sonne autrement dans les oreilles, elle est l'expression d'un saut dans l'inconnu, l'expression du désespoir, du mal-être, de l'aventure à grands risques et périls. D'ailleurs, Babour Zammar, écrite par Mouldi Zalila, était dite ‘‘la chanson de l'émigration'' ou ‘‘le chant de l'exil'', à cette différence de taille que l'exil des uns (étudiants) était souvent couronné de succès, alors que celui des autres (clandestins) est le plus souvent sanctionné de malheur. Pour revenir à Abir Nasraoui, notre artiste tuniso-française est en passe de se débarrasser de l'image ensorceleuse des monstres sacrés de la chanson arabe pour se consacrer petit à petit à la chanson tunisienne et/ou maghrébine qui n'en brille pas moins de subtilité et de profondeur. Néanmoins, Abir, dans sa volonté de s'ouvrir sur la musique universelle, garde encore dans l'orchestre qui l'accompagne des éléments occidentaux, tels le contrebassiste électro Francis Farelli, le percussionniste Olivier Kahor ou encore le guitariste Frank Pascoli. Soit une manière de garder ses origines, tout en s'élevant vers l'universel. Nous croyons savoir que, maintenant que le public tunisien connaît de mieux en mieux Abir (sa dernière prestation fort réussie l'a été au Théâtre municipal, à l'occasion du Festival de la Médina), l'artiste prépare un vaste programme pour les prochains festivals d'été un peu partout en Tunisie. Ce qui sera l'occasion d'un hommage vivant à la mémoire de Hédi Guella.