Par M'hamed JAIBI Un ingénieur des Grandes écoles françaises et ancien haut cadre de la Steg, tunisien de naissance mais franco-tunisien de cœur, a adressé au journal «La Presse» un poème de son cru (voir «La Presse» en date du 15 janvier) composé sur le sol français, plus précisément à Collonges, dans lequel il donne libre cours à son sentiment quant à la terrible action terroriste ayant frappé l'hebdomadaire satirique d'extrême gauche Charlie Hebdo, et à la massive réaction de mobilisation solidaire qui s'en est suivie. «Je ne suis pas Charlie ! (...)», lance Mokhtar Dakhlia, «(...) je suis un musulman attaché aux valeurs bien républicaines, un vaillant combattant non violent, sans haine, affichant du respect pour tous les autres : idéologies, dieux, totems et apôtres. C'est là la différence avec l'Hebdo «Charlie» dont l'humour noir douteux salit les interdits. Il lui plaît de franchir maintes lignes rouges et de soigner ses tirs pour tout ce qui bouge (...)». Personne ne sait si notre fidèle lecteur, auteur de ce poème également satirique, sera ou pas l'objet de poursuites judiciaires pour «apologie du terrorisme», à l'image de Dieudonné et de tant d'autres, mais son élan exprime bien l'ampleur du désarroi des Musulmans de France et de tous les Français antiterroristes qui ne se retrouvent pas dans l'approche simplificatrice dogmatique adoptée comme suite à la mobilisation républicaine de dimanche dernier à Paris. Pas seulement parce qu'elle a été récupérée par la présence de Netanyahu et la propagande pro-israélienne, mais par le fait qu'elle procède de la logique du «noir ou blanc», cautionne puis encourage la provocation au nom de la libre expression, et compte pérenniser la campagne des caricatures anti-musulmanes comme gage de la résistance face à la terreur jihadiste. Mais faut-il forcément s'engager, avec armes et bagages, dans l'un des deux «camps» aux contours peu rassurants que nous offrent les officiels de ce monde, ou séparer le bon grain de l'ivraie et placer de saines balises appelées à disqualifier l'escalade de la haine, des provocations, de la surenchère.. qui prépare la guerre totale. Celle-là même dont les germes ont été semés en Afrique subsaharienne, en Syrie, en Irak... Déjà, en guise de «réaction au terrorisme», des Allemands prétendent s'en prendre à l'Islam et aux Musulmans, obligeant la chancelière à monter au créneau, alors qu'en France, l'organisation «Riposte Laïque» prépare pour ce dimanche un rassemblement antimusulman à Paris, et que la propagande sioniste, omniprésente, joue sur l'amalgame au détriment des Palestiniens, des Arabes et des Musulmans, justifiant l'injustifiable emprisonnement de Ghaza, la colonisation des territoires et les crimes contre l'humanité au nom de la «sécurité d'Israël». La bataille contre le terrorisme s'impose à tous les citoyens du monde épris de paix, mais elle ne pourra aboutir à la paix qu'à travers le respect mutuel du sacré et de la dignité de chaque communauté. Ce que nous voyons s'agencer depuis l'attaque sanguinaire de Charlie Hebdo, ce n'est pas un combat démocratique civil associant communautés et religions diverses sur la base d'une saine stratégie de débat et de défense des valeurs républicaines, mais l'expression d'une opinion dans le cadre d'un débat démocratique, une dangereuse escalade semblant vouloir instaurer un dangereux climat de guerre civile ou de guerre totale. Par son pacifique poème, Mokhtar Dakhlia entend dire non à la haine et à la guerre, dire oui au dialogue pour la fraternité universelle et à l'ancrage des valeurs républicaines, sans amalgame, sans simplifications et sans provocations.