Un attentat perpétré à Paris dans les locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo par deux hommes cagoulés et lourdement armés a fait au moins 12 victimes Les commandos de la haine ont encore frappé. En plein cœur de Paris. Le carnage est particulièrement lourd, douze victimes dont une dizaine de journalistes et deux policiers. Outre les détails de l'impardonnable crime, le forfait recèle des significations pour le moins sinistres. En France, le cœur de la démocratie a été touché, dans son enceinte privilégiée, la presse. Jusqu'ici, la presse française, ses locaux, ses rédactions, ont été pour ainsi dire un sanctuaire, une ligne rouge infranchissable. Cela tient des valeurs cardinales de la République. L'on se souvient encore du fameux «on n'embastille pas Voltaire» déclamé par De Gaulle à propos de Jean-Paul Sartre, philosophe, écrivain et journaliste français. Tel fut toujours le cas, ou presque. Jusqu'aux sinistres rafales des armes automatiques qui ont abattu de nombreux et illustres journalistes hier à Paris dans les locaux mêmes de Charlie Hebdo, le bouillant hebdomadaire satirique. Hier, le commando de la haine a touché le cœur, le portail des libertés, en s'en prenant à la liberté de la presse. Hier encore, à la veille des attentats du 11 septembre 2001, aux Etats-Unis d'Amérique, on nous a sorti la théorie délirante du choc des civilisations. Aujourd'hui, intimement lié à cela, nous vivons le choc des ignorances et des fanatismes. Un choc sanglant, criminel, insoutenable et injustifiable à tous égards. La classe politique française, les instances de la société civile, les citoyens de l'Hexagone en appellent à l'unité nationale, voire à l'union sacrée. Ils ont raison. Des va-t-en-guerre en profitent pour jeter de l'huile sur le feu, entretenir l'amalgame, prôner de casser de l'Arabe et du Musulman. Ils ont tort. N'empêche, on ne dira jamais assez la compassion vis-à-vis des victimes, leurs proches, leur pays. On ne réitérera jamais assez notre solidarité claire, nette et précise, sans ambages, avec les journalistes et les policiers méthodiquement et froidement exécutés par le commando de la haine. «La mort de tout homme me diminue», disait le poète anglais John Donne. L'attentat contre Charlie Hebdo nous diminue, tous tant que nous sommes. L'évidence s'impose. La guerre terroriste est totale. Ici et là, on privilégie les exécutions ciblées, les attentats individuels, le passage au fil de l'épée de groupes entiers de gens. Leur unique tort est d'être, d'exister, de déranger les certitudes macabres des gens enrôlés dans les tueries, dressés pour éliminer le prochain, méthodiquement. La France connaît, à sa manière, son 11 septembre 2001. Ses conséquences seront, à n'en guère douter, ravageuses. De nouveau, les extrêmes s'interpellent dans la danse macabre. L'action, instruit la physique, égale la réaction. Mais en politique, cela peut embarquer loin. Les vicissitudes d'Irak, d'Afghanistan, de Syrie en sont un navrant témoignage. Le monde vacille. Un peu partout, le parti de l'instinct dame le pion au parti de l'intelligence. Et un peu partout aussi, le mort saisit le vif. L'attentat au cœur même d'une rédaction française révèle les desseins obscurs de ses exécutants, et surtout, de ses commanditaires. La jeunesse, sous de nombreux cieux, ne rêve plus. Elle nourrit les cauchemars les plus insensés. Des marchands de la mort en font la chair à canon privilégiée. On nous avait annoncé, à tort, la mort de l'idéologie. Il n'en est rien. Les idéologies de la haine ont repris du poil de la bête. Partout. D'un côté, les sanctuaires de la société civile, le temple des libertés, sont pris à partie. Affreusement. Dans le sang et dans les larmes. Les concepts fourre-tout et à géométrie variable sont ravageurs. Ils sont fondateurs de nouvelles dérives, de nouvelles grimaces de la peur. Telle la remontée des discours nihilistes sur fond d'approches réductrices et à l'emporte-pièce qui n'en finissent plus d'attiser le brasier rougeoyant sous les cendres. Aujourd'hui comme hier, il faut savoir raison garder. Condamner sans la moindre hésitation. Eviter de caresser dans le sens du poil de la bête. Construire ensemble. Voir grand dans l'immensité du possible. L'homme est le vicaire de Dieu sur terre. Toutes les religions l'instruisirent. Encore faut-il que cet homme soit digne et de Dieu et des hommes.