Les lectures sont toujours instructives, qu'elles soient linéaires ou croisées. Lu dans le site Kapitalis : «Le sénateur du Connecticut Chris Murphy, accompagné d'autres membres de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, s'est rendu en cette fin de semaine en Allemagne pour prendre part, à Munich, à une conférence sur la sécurité dans le monde. Sur leur chemin, ce groupe de sénateurs américains ont fait escale à Tunis, où ils ont croisé un ancien collègue, Joe Lieberman, qui se trouvait dans le pays, rapporte le ‘‘CT Mirror'' (‘CT M'). Le bureau de Chris Murphy indique que la délégation sénatoriale – qui comprend entre autres le sénateur républicain de l'Arizona John McCain – a fait escale, sur sa route pour Munich, à Tunis afin de rencontrer les dirigeants tunisiens. Heureuse coïncidence, cette rencontre tuniso-américaine a eu lieu le jour de l'installation du premier gouvernement de la IIe République de Tunisie... Le ‘‘CT M'' ne s'est pas empêché de faire le rappel suivant: «A propos, la Tunisie a récemment passé commande d'une douzaine d'hélicoptères Sikorsky Black Hawk, qui sont fabriqués dans le Connecticut, pour une valeur totale de 700 millions de dollars». Tout se rejoint et tout se mélange dans une «harmonie parfaite»: le business, la politique, la géopolitique, les idées — bonnes et moins bonnes —, les anciens sénateurs américains et les nouveaux, les conservateurs et les moins conservateurs, etc.» Cela veut tout dire. La semaine écoulée s'est caractérisée, sous nos cieux, par le flou artistique politique. L'investiture du premier gouvernement de la IIe République a été pleine d'énigmes. Beaucoup de gens sont restés sur leur faim. Qu'il s'agisse des électeurs et séides des mouvements Nida Tounès et Ennahdha ou de la large masse, des questions demeurent en suspens. Le détail du vote de confiance du nouveau gouvernement Habib Essid, le 5 février, révèle l'alliance en bloc entre Nida et Ennahdha, jusque-là frères ennemis par excellence. Ainsi, 166 députés ont-ils accordé leur confiance à la nouvelle équipe gouvernementale moyennant 30 voix contre et 8 abstentions. Le bloc parlementaire de Nida Tounès (86 députés), a totalisé une seule voix contre et 4 abstentions. Celui d'Ennahdha s'est soldé par 3 abstentions et 0 voix contre. Entre-temps, on a observé une espèce de nouvelle pensée unique en gestation. L'auteur de toute critique ou interrogation appuyée sur les soubassements de l'alliance entre Nida Tounès et Ennahdha est voué aux gémonies. Bien évidemment, en premier lieu, par ceux-là mêmes qui profitent de cette alliance, portefeuilles ministériels et dignités plus ou moins déclarées obligent. En même temps de nouveaux techniciens en légitimation circonstancielle ont fait irruption sur la place. Certains d'entre eux se distinguent par des déclarations à l'emporte-pièce, aux antipodes de leur profession de foi de la veille. L'un d'entre eux, réputé pour ses charges virulentes contre Ennahdha, a déclaré tout de go que ce mouvement est social-démocrate, ni plus ni moins ! Il est vrai qu'il occupe désormais un fauteuil douillet dans le nouveau gouvernement. Autre fait révélateur, le sénateur américain John McCain, néoconservateur invétéré, s'est entretenu, vendredi, avec tout le gotha que compte la place politique. A la tête d'une délégation de congressmen, il a rencontré le président de la République, M. Béji Caïd Essebsi, le nouveau chef du gouvernement, M. Habib Essid, et le président d'Ennahdha, M. Rached Ghannouchi. Soit les trois pôles du pouvoir en Tunisie. Peu de choses ont filtré sur la teneur de ses entretiens à Tunis. On évoque vaguement la lutte antiterroriste voire les relations diplomatiques de la Tunisie avec la Syrie. De son côté, l'agence Tap a publié une dépêche où McCain se dit «fier d'être en Tunisie à un moment marquant de son histoire». Il est utile de rappeler que c'est la 18e visite du sénateur McCain en Tunisie depuis la révolution de janvier 2011. Pour maints observateurs, il y a un déficit de communication en la matière. Quelques hauts dirigeants de Nida ou d'Ennahdha auraient dû éclairer l'opinion par leur lanterne. Au lieu de se contenter de diaboliser toute voix discordante ou interrogation lancinante. Qui est derrière cette alliance fortuite, mais visiblement pérenne, aux antipodes des trois campagnes électorales pour les législatives et la présidentielle cinq mois durant ? Y a-t-il interférence étrangère en l'occurrence ? Ou accord secret, formel ou tacite ? Si oui quelle en est la teneur ? Quelles en seront les manifestations futures, notamment en ce qui a trait aux nominations de gouverneurs et de hauts commis de l'administration ? Et surtout aux procès antiterroristes, à la répression du soulèvement de Siliana, aux responsabilisations des uns et des autres et aux révélations sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ? Pourquoi McCain et les congressmen américains ont-ils rappliqué si vite à Tunis ? Encore une fois, les faits politiques révèlent qu'en Tunisie, la vérité n'est pas l'évidence, et vice versa. Les accords secrets demeurent de mise. Le non-dit l'emporte. Et les interrogations légitimes dérangent.