Les événements survenus à Dhehiba et à Ben Guerdane ont révélé une nouvelle démarche de gestion des crises adoptée par le gouvernement Habib Essid. On écoute désormais les doléances de la rue puis on prend les décisions qui vont calmer les protestataires. S'agit-il d'une solution ponctuelle à une situation particulière ou d'un style de gouvernement que nous vivrons durant les cinq prochaines années ? Des acteurs du paysage politique, civil et juridique s'expriment Face à sa première épreuve, le gouvernement Habib Essid, qui bouclait hier sa première semaine, est revenu aux bonnes vieilles habitudes du contact direct et de l'écoute des doléances des citoyens et de leurs propositions dans le but de sortir de la crise. Yassine Brahim, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, a été on ne peut plus clair et précis, en déclarant à l'issue des réunions de travail tenues par la délégation ministérielle dépêchée à Dhehiba et à Ben Guerdane : «Nous avons écouté les propositions des habitants des deux régions et aujourd'hui (hier, vendredi) nous tenons un Conseil ministériel restreint et nous prendrons les décisions qui répondront aux préoccupations des habitants». Autrement dit, la délégation ministérielle s'est déplacée dans la région sans avoir de mesures à proposer aux contestataires mais bien à la chasse des solutions dont disposent les manifestants représentés par les associations de la société civile et les syndicalistes qui négociaient, alors que le gouverneur suivait le déroulement des évènements comme tout le monde. Et les interrogations des citoyens, des observateurs et des analystes de pleuvoir. La démarche suivie par le gouvernement Essid constitue-t-elle un précédent qui pourrait se généraliser pour les autres régions ? En agissant ainsi, le gouvernement a-t-il montré qu'il est un gouvernement de réaction au moment où on attendait qu'il soit un gouvernement d'action ? La décentralisation ou l'autonomie des régions a-t-elle démarré effectivement avant que les députés ne nous concoctent les lois qui détermineront, comme le veut la Constitution, les champs d'intervention et les domaines de compétence des régions, mais à condition que l'Etat demeure unifié ? Il y a des priorités absolues En attendant les mesures qui vont découler du Conseil ministériel restreint prévu hier, La Presse a sondé la réaction de quelques acteurs du paysages politique, civil et juridique national. Anouar Ben Gaddour, secrétaire général adjoint de l'Ugtt chargé du département des études, souligne : «Nous voulons que tous les dossiers soient ouverts dans toutes les régions du pays et que les 42 ministres et secrétaires d'Etat qui composent le gouvernement Essid se rendent dans tous les gouvernorats du pays pour découvrir les problèmes. Seulement, ils sont appelés à entreprendre ces visites bien avant que la rue ne parle. Au sein de l'Ugtt et dans le document de travail que nous avons remis au chef du gouvernement, nous avons appelé à la dynamisation des projets bloqués avec la participation des partenaires sociaux et des représentants de la société civile. Nous avons demandé également que soit créé un site web pour chaque projet arrêté, l'objectif étant de permettre à tout le monde de faire le suivi de l'exécution du projet en question». «Pour nous, il existe, ajoute-t-il, des priorités absolues qui ne sont sujettes à aucune contestation et le gouvernement est tenu d'assumer ses responsabilités en dévoilant la réalité aux Tunisiens et en leur indiquant qu'il existe des revendications irréalistes et irréalisables. Quant aux députés qui ont investi les régions de Tataouine et de Médenine pour jouer les héros de dernière minute, ils ont produit une piètre image de leur conception de la démocratie, de leur propension à instrumentaliser le malheur des gens en vue de se refaire une virginité. Malheureusement, on a été fixé sur l'indiscipline qui règne au sein des partis politiques, y compris ceux qui sont au gouvernement, et on a découvert que chaque député a son propre programme qu'il veut imposer à tous les autres». Un dilemme insoluble Du côté d'Al Moubadara, sortie les mains vides et n'arrivant pas toujours à digérer la gifle que lui a flanquée Habib Essid, le ton est cru et révère. Nizar Ben Saâd, membre du bureau politique du parti dirigé par Kamel Morjane, ne mâche pas ses mots. «C'est un gouvernement de réaction qui attend que ça brûle pour apporter des palliatifs qui ne résoudront aucun problème», souligne-t-il. «Accepter d'écouter les régions et de répondre à leurs exigences, c'est un autre dilemme cruel et insoluble dans lequel Habib Essid met son gouvernement. Aujourd'hui, il va se trouver obligé de compter avec la même manière avec le reste des autres régions qui vont emboîter le pas à Dhehiba et à Ben Guerdane en vue d'imposer leurs caprices. Toutefois, je tiens à signaler que leurs demandes sont légitimes. Mais c'est bien à l'Etat de trouver les solutions appropriées, mais non aux notables des régions ou aux représentants de la société civile de remplacer les autorités régionales. Où est l'autorité de l'Etat professée par Béji Caïd Essebsi tout au long de sa campagne électorale ? Aujourd'hui, c'est la rue qui commande et les ministres d'Essid ne font qu'exécuter», tempête-t-il. Une solution ponctuelle à une situation particulière La juriste et enseignante universitaire Saloua Hamrouni opte pour un ton modéré : «Recourir à l'écoute des régions de Dhehiba et Ben Guerdane et satisfaire leurs exigences sont une réponse ponctuelle à une situation particulière. Le gouvernement s'est trouvé sous la pression et il a considéré qu'il est dans son intérêt de recourir à une telle démarche. Cependant, il ne s'agit pas d'une manière d'appliquer la décentralisation que nous attendons et qui doit être régie par des lois que le Parlement est tenu d'adopter. Seulement, il est légitime de craindre que ce genre de solutions puisse se généraliser». Et s'il y a un enseignement à tirer des événements de Dhehiba et de Ben Guerdane, «c'est bien celui de reconnaître que l'implantation de Nida Tounès est faible dans les régions indiquées et que les députés qui ont accouru pour jouer les sauveurs ont réussi à exploiter la situation», conclut-elle.