Leïla Hamrouni : « Une grève administrative qui touche la semaine bloquée et menace de chambouler l'année scolaire, c'est du corporatisme ». Samir Dilou : « Je soutiens les enseignants et leurs revendications ». Zied Lakhdhar : «Comment instaurer un système éducatif efficace, sans salaire décent pour les éducateurs ?» « C'est l'un des ministères les plus difficiles, si ce n'est le plus difficile », confiait à La Presse Néji Jalloul, le ministre de l'Education, le jour où le gouvernement Essid était venu au Bardo chercher la confiance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le nouveau bras de fer qui s'est installé depuis quelque temps avec le Syndicat général de l'enseignement secondaire pourrait lui donner raison. Après des négociations désastreuses entre le ministère de tutelle et le syndicat, ce dernier a donc décidé de durcir son mouvement en refusant d'appliquer le calendrier des examens tout en assurant la poursuite des cours de manière habituelle. Et pendant que les élèves sont dans l'expectative et que les parents s'impatientent, Néji Jalloul et le secrétaire général du Syndicat général de l'enseignement secondaire, Lassaâd Yaâkoubi, sont à couteaux tirés et se livrent une guerre sans merci par médias interposés. « Le boycott des examens est plus une infraction qu'un droit », déclare le ministre dans un communiqué. « Le combat contre les enseignants est perdu d'avance », rétorque Lassâad Yaâkoubi. Pourquoi choisir l'escalade au lieu d'opter pour la voie de la négociation même si elle nécessite plus de temps ? Pourquoi prendre les élèves en otage ? ». On ne veut pas se fâcher avec les syndicats En attendant que les choses s'arrangent, les avis sont partagés et souvent très nuancés du côté de nos élus. Personne ne souhaite se fâcher avec les syndicats, surtout qu'ils « comprennent » leurs revendications. En effet, si les députés s'accordent à dire que les demandes des enseignants sont légitimes, ils ne sont pas toujours d'accord avec les méthodes musclées du syndicat. Enseignante à la base et députée membre de la commission de « la jeunesse, affaires culturelles, éducation et recherche scientifique », Leila Hamrouni (Nida Tounès) dit avoir peur des conséquences d'une telle grève sur les élèves. Elle qui a déjà participé à plusieurs grèves dans sa carrière s'étonne d'un précédent qui ne profite à personne. « C'est une première dans l'histoire de la Tunisie : une grève administrative qui touche la semaine bloquée et menace de chambouler toute une année scolaire, j'appelle ça du corporatisme », explique-t-elle. Selon elle, le problème aujourd'hui est qu'on ne comprend pas ce qui se passe dans les caisses de l'Etat. « J'ai été professeur et je comprends parfaitement la précarité des conditions morales et matérielles dans lesquelles vivent les enseignant, poursuit-elle. Mais il faut également comprendre que les finances publiques sont en crise, et que nous nous endettons pour payer la masse salariale ». Pourtant lui-même ex-ministre, le député d'Ennahdha Samir Dilou, tout comme sa collègue Neila Oueslati, ont choisi de se mettre du côté du syndicat. Les deux élus d'Ennahdha semblent satisfaits de voir Neji Jalloul, l'un des opposants à la participation d'Ennahdha au gouvernement, se prendre dans les filets des syndicats du secteur de l''éducation. Sur fond de rivalités partisanes « Je soutiens les enseignants et leurs revendications », déclare Samir Dilou. Les méthodes peuvent choquer certains, certes, mais je suis encore plus choqué par les campagnes de dénigrement orchestrées contre les enseignants ». De son côté, Neila Oueslati appelle les parents des élèves à « comprendre la position des professeurs », une demande qui avait été formulée dès samedi par le syndicat. La méthode ne choque pas du côté du Mouvement du peuple. Pour Ridha Dellaîi, la décision de ne pas interrompre les cours et de les poursuivre de manière normale est à mettre au crédit du syndicat, qui a su « prendre ses responsabilités », contrairement au ministère de l'Education, qui a fait fi des demandes « légitimes » des professeurs. Même combat chez les frontistes. Zied Lakhdhar ne tire pas à boulets rouges sur le ministre, mais défend des exigences « reconnues par tout le monde ». « Comment peut-on instaurer un système éducatif efficace, sans salaire décent pour les éducateurs ? Comment charger quelqu'un d'enseigner à nos enfants et lui accorder un salaire dérisoire ? », se demande Zied Lakhdhar, pour qui la seule solution est d'aller vers des négociations sérieuses et que le ministère réponde favorablement aux demandes. Dans tous les cas de figure, les prochains jours vont être décisifs. Après une guerre acharnée, le syndicat et le ministère doivent chacun (ou ensemble) trouver une porte de sortie honorable. Le président de l'Assemblée des représentants du peuple Mohamed Ennaceur a proposé ses services pour jouer aux médiateurs.