Abada Kéfi aux juges : « Si vous nous considérez comme une commission d'avocats, alors ce n'est pas la peine d'y venir défendre vos idées » A peine parvenu à la présidence du Parlement, le projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) provoque déjà des remous au sein de la commission de législation générale présidée par Abada Kéfi. Coincés entre l'enclume des délais constitutionnels pour la mise en place du CSM et le marteau des pressions parfois corporatistes des parties prenantes, les élus ont tenté hier de trouver une porte de secours interprétative du texte constitutionnel afin de gagner du temps. Quid du délai constitutionnel ? Officiellement et selon Abada Kéfi, le Parlement a jusqu'au 28 avril pour « mettre en place le CSM », mais les députés ont estimé hier que ces délais n'étaient pas raisonnables. Dans une tentative de grignoter quelques mois, Mondher Belhaj (Nida Tounès) a rappelé que les députés n'ont prêté serment que le 2 décembre 2014 et que, de ce fait, c'est à partir de cette date qu'il fallait actionner le chronomètre. Pour Ghazi Chaouachi (Courant démocratique) en revanche, pas question de forcer les verrous de la Constitution. « Le texte est clair », dit-il, tout en préconisant une obligation de moyens pour la commission. « Nous travaillerons jour et nuit pour respecter la Constitution, mais si nous n'y arrivons pas, le comité provisoire de la justice judiciaire poursuivra sa fonction jusqu'à la mise en place du CSM, et ce, conformément à la Constitution », explique-t-il. A aucun moment en tout cas, les députés représentés dans la commission de législation générale n'ont formulé de manière claire que le projet de loi pourrait être examiné et voté avant le 28 avril 2015. Même si elle appelle à respecter le texte constitutionnel, Sana Mersni, rapporteur de la commission, ne dit pas comment. « Il faut bien mentionner que le retard est imputable au gouvernement et non pas aux élus », a tenu à dire le député Hassen Amri (Nida Tounès). Commission parlementaire... d'avocats Il semble que le bras de fer engagé depuis quelques années déjà entre les avocats et les juges se soit déplacé à l'intérieur de l'ARP. Reçues séparément hier par la présidence du Parlement, Raoudha Laâbidi (présidente du Syndicat des magistrats tunisiens) et Raoudha Karafi (présidente de l'Association des magistrats tunisiens) ont ouvertement critiqué la composition de la commission de législation générale estimant qu'elle contient « trop d'avocats connu pour avoir soutenu dans la rue le mouvement de grève de leurs pairs ». A cette remarque, Abada Kéfi a rétorqué : «Si vous nous considérez comme une commission d'avocats, alors ce n'est pas la peine de venir défendre vos idées ». A l'intérieur de la commission, les juges ont pourtant trouvé un défenseur en la personne de Salem Labyedh (Mouvement du peuple) qui a confirmé que «le cœur de certains des membres de la commission penche plutôt vers les avocats ». Abada Kéfi, lui-même avocat de carrière, s'est engagé à « tout faire pour examiner le texte dans la plus grande objectivité ». Dans l'après-midi, le président de la commission a essuyé les critiques des membres de la commission, notamment celles de l'ancien ministre de la Justice Noureddine B'hiri, qui lui ont reproché le fait d'avoir rencontré les juges à huit clos, hors de la commission. Les membres de cette structure parlementaire se sont par ailleurs entendus sur le fait que tous les intervenants dans le dossier du CSM n'auront qu'un seul interlocuteur : la commission de législation générale. Avec ses 89 articles, le projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature est une pièce maîtresse du dispositif juridique de la IIe République. Son examen pourrait durer beaucoup plus que prévu.