Houcine Laâbidi : «Vendredi, ils vont essayer de faire venir un nouvel imam et m'écarter du minbar, mais ils n'y parviendront pas» Au bout de la rue Jamaâ Ezzitouna encore vide à 9h00, quatre policiers en civil scrutent les mouvements des passants et vérifient certaines identités. Mais ce n'est pas véritablement ce qui les intéresse, deux jours après la décision du tribunal administratif de «déloger Houcine Laâbidi et ses collaborateurs des locaux de la plus vieille mosquée de la capitale, en application de la décision du ministère des Affaires religieuses de les remplacer par des fonctionnaires nommés. «Tu as choisi le mauvais moment pour la visite, mon frère, lance un vendeur ambulant d'écharpes à un jeune homme qui lui demandait l'entrée de la mosquée. La police va bientôt intervenir, ça va être chaud». Du haut de la mosquée, quelques sympathisants de l'imam contesté regardent, inquiets, les policiers en civil reconnaissables à leur fameux talkie-walkie qui ne passe presque jamais inaperçu. «Pour le moment, nous attendons les ordres, nous n'avons reçu aucune instruction claire d'utiliser la force», confie tout bas l'un des policiers, tout en parcourant des yeux le monument qui s'étend sur 5.000m2. A l'intérieur de la salle de prière, c'est une journée comme les autres. Une centaine de fidèles étudiants suivent dans des cercles séparés les enseignements de la «Charia et des fondements de la religion», initiés depuis plus de deux ans par l'imam controversé. A droite du mihrab, une poignée d'hommes de différents âges suivent un cours approfondi de langue arabe. A gauche, une autre écoute attentivement un cheikh parler de croyance (Akida). Derrière, de nombreuses femmes procèdent à une récitation commune et à voix haute du Coran. Sans doute une manière de l'apprendre par cœur à force de répétition. Le gentil flic A l'entrée du bureau de Houcine Laâbidi qui donne sur la salle de prière, ses partisans discutent : «Les médias corrompus veulent détruire la religion», dit l'un d'eux. «Mais non arrête, ce qu'ils veulent c'est la tête de Houcine Laâbidi. Franchement, parfois il dérape et déclare n'importe quoi, il aurait dû se retirer et laisser un autre à sa place pour que l'enseignement zeïtounien se poursuive», répond l'autre. Entre-temps, l'un des policiers en civil emprunte les marches qui mènent à la mosquée et demande poliment à voir «Sidi Echeikh», comme l'appellent les habitués des lieux. Pour entrer au bureau, on invite le jeune policier à se déchausser. Il s'exécute volontiers et s'installe au bureau de Houcine Laâbidi. Une heure plus tard, le jeune homme quitte la mosquée, documents à la main, mais cette fois, ce fonctionnaire de l'Etat ne laisse rien filtrer sur le contenu de son entrevue. Les trois autres policiers en civil quittent les lieux. «Ah ce policier est vraiment gentil et courtois, il est diplômé en droit et comprend ce que je lui dis, s'amuse Houcine Laâbidi, visiblement soulagé. Je lui ai bien expliqué que juridiquement, nous sommes dans notre droit et il a parfaitement assimilé». La bataille juridique A la première heure, ce matin-là et avec «le soutien de plusieurs avocats bénévoles», l'imam a déposé trois requêtes au tribunal. Dans la première, il demande l'arrêt d'exécution de la décision du Tribunal administratif prononcé mardi dernier. Dans une deuxième, il fait appel de la décision du ministère des Affaires religieuses pour vice de procédures, tandis que la troisième requête conteste la compétence du tribunal administratif pour ce type d'affaires. Quelques minutes après le départ de la police, Houcine Laâbidi s'installe du côté du mihrab pour s'adresser aux étudiants zeïtouniens. «Ce lieu est le vôtre, peu importe qui sera dans la gestion et l'administration, déclare-t-il. L'essentiel est que ce lieu reste à tout jamais indépendant du pouvoir politique». L'imam est installé depuis plus deux années à la mosquée, grâce à une décision signée à l'époque de la Troïka, garantissant l'indépendance administrative de l'établissement. Selon l'article 8 de cette décision : «L'imam du vendredi doit être un zeïtounien, nommé par les zeïtouniens». «Vendredi, ils vont essayer de faire venir un nouvel imam et m'écarter du minbar, mais ils n'y parviendront pas», dit-il à ses amis. Fébrilement, il quitte le mihrab, pour retourner à son bureau à petits pas. «Vous voyez, assure-t-il, je pèse à peine 45 kilos, je ne suis pas un homme de violence, je veux juste que justice soit faite. Il promet que si ses trois requêtes sont rejetées, il quittera immédiatement et sans grabuge les lieux.