Par Larbi DEROUICHE Aux messieurs de la radio et de la télévision de faire profiter les jeunes générations des précieuses leçons données par le Combattant suprême en leur faisant découvrir ce grand homme, à travers la voix et l'image. Ses conseils et ses directives demeurent, pour la plupart, actuels. Détails... Ceux qui n'ont pas vécu l'ère Bourguiba savent peu ou prou sur l'homme d'Etat dont la renommée a fait connaître la Tunisie indépendante. Qui disait Tunisie, disait Bourguiba. C'était dans tout esprit — à commencer par celui de Bourguiba — un duo et une entité indissociables et indivisibles. Nos jeunes n'ont pas eu à bien connaître cet homme, parce qu'un autre homme en a décidé ainsi. Et a cherché à effacer le passage du grand homme de la mémoire collective. Bourguiba n'avait rien fait pour mériter la sanction de Ben Ali. Bien au contraire, il avait tout fait pour mériter une récompense, pour services rendus, que l'ingratitude n'a jamais rendue : une assurance vieillesse convenable, doublée d'une assurance décès honorable... Le complexe du nain ! Cela dit, le pourquoi du comportement ingrat ?... De l'avis de beaucoup, c'était par complexe. Le complexe du nain vis-à-vis du géant ! Mon confrère et non moins ami Raouf Yaïche en sait quelque chose. La vedette médiatique de l'époque, épris de Bourguiba jusqu'à la moelle des os et l'un des artisans médiatiques de la belle image du Combattant suprême, me révèle que Ben Ali a tout fait pour négliger les traces des discours de Bourguiba, fait pour négliger le trésor, hérité de Bourguiba, dont notamment les inoubliables flashs télévisés diffusés chaque jour (depuis l'année 1974 jusqu'au 6 novembre 1987) avant le journal télévisé de 20h00, sous le titre «Des recommandations du président». Enregistrée sur des bandes vidéo grand format (des supports dépassés et inexploitables), ils n'ont jamais été conservés à travers leur transfert au système numérique. Et il est à craindre que ces vieux supports soient en partie détériorés et deviennent du coup non transférables. Le maître d'œuvre de la série m'explique qu'il meublait l'émission quotidienne par des séquences extraites des divers discours de Bourguiba (dont notamment ceux prononcés périodiquement à partir de l'Ipsi (dirigé alors par le pionnier Moncef Chennoufi). Raouf Yaïche choisissait le thème du jour, l'actualité du jour et le contexte socioéconomique. Voilà pourquoi le printemps arabe a été tunisien De l'avis de beaucoup, de la génération ayant vécu le bon vieux temps de Bourguiba, ces discours ont bien contribué à jeter les bases d'un Etat moderne et d'une société civilisée. Dont la révolution a fait exception dans le printemps arabe, converti par la force des choses et à juste raison en un printemps quasi totalement tunisien. Dans ses discours, le virtuose du dialecte tunisien parlait de tout à son peuple. Qui lui faisait une confiance aveugle dans ses discours polyvalents, Bourguiba insistait sur la propreté morale, la valeur du travail, l'altruisme, le nationalisme, le dévouement et l'abnégation pour le service de la nation. Il a surtout stigmatisé et mené un combat sans répit contre le tribalisme, considéré comme étant une dangereuse menace pour l'unité nationale. Et les guerres fratricides menées de temps à autre dans plus d'un pays arabe (où le tribalisme fait loi) ne sont pas pour le démentir. Il était parmi nous Bourguiba entrait sans frapper dans nos chambres à coucher pour conseiller aux conjoints, avec la pointe d'humour qui lui est propre, de savoir se tourner le dos, pour ne pas «lapiner» et trop procréer. Il se mêlait de notre cuisine interne et fourrait le nez dans nos menus quotidiens, se substituant aux nutritionnistes et prenant le devant de Dr Hakim (alors encore absent sur les ondes de la radio). Ceci en nous conseillant de remplacer, autant que possible, la «chakchouka» par la salade variée, vantant à sa manière loufoque les vertus nutritives des crudités. Personnellement, je vous prie de me croire, chaque fois que ma douce moitié me propose un plat de chachouka, je rectifie le tir et «contre-propose» un plat de salade bourguibienne ! Et des milliers de ma génération doivent avoir ce même réflexe. Un souvenir demeure indélébile dans mon esprit. Il concerne une anecdote qui en dit long sur l'extrême sensibilité de Bourguiba à tout ce qui touche au quotidien du Tunisien. Et est édifiante sur le réflexe aiguisé du Combattant suprême vis-à-vis du dysfonctionnement et des incuries de toute nature. Les faits remontent aux années soixante où le «Zaïm» avait encore bon pied, bon œil et bonne santé. Le scandale et le «show» Etant tout yeux et tout oreilles pour tout ce qui se passe dans ses sacro-saints périmètres, Son Excellence eut vent, à travers ses antennes partout présentes, que rien ne va au service du renseignement téléphonique (baptisé alors n°12, «ancêtre» de l'actuel 1200). Après vérification directe, par sa ligne directe sans transiter par le standard du Palais, il s'assure en personne de la véracité des choses et de leur bien-fondé. Vif, il prend illico presto son bâton de pèlerin (sa célèbre canne qui a tant fait de miracles et décidé de bien des destins) et met le cap sur La Kasbah, où siègent nos dames du «12», cherchant à lever le mystère sur ce qui se passe dans cette galère... Et plus vite que la musique, il fait irruption dans les lieux ! Rien que des sonneries qui réveillent les morts ! Un curieux vacarme l'amène à se glisser dans le bureau d'à-côté. Quoi ? Quel spectacle scandalisant ! Voilà qu'il est nez à nez avec l'équipe féminine de service, accroupie autour d'une marmite bouillonnante, regorgeant de «ojja». Tout le beau monde de céans pleure de rires et chante en chœur les chansons d'antan. Voyant alors rouge et pris par une colère noire, l'illustre homme aux yeux bleu vert pointe sa canne vers le récipient et flanque en l'air le contenu et contenant, répandant la sauce bouillante sur les jupes et les jupons des agents malveillants. Ceci non sans soumettre les contrevenants à une grêle de coups de bâton... Sitôt son «show» terminé, il réintègre son palais, ruminant un sérieux coup de balai... Le lendemain, tout est vite fait, bien fait... et le service est remis sur le bon pied. Ah si Bourguiba était réécouté ! Cela dit, des dires amusants, l'on passe aux dires sérieux, pour dire qu'il n'est jamais tard de permettre aux jeunes générations de tirer le maximum de profit des leçons données par cette machine politique et ce géant au fil de trente ans et effacée de notre tableau noir par l'ère noire de 23 ans... L'on gagnerait à commencer par dépoussiérer les vieilles bandes vidéo enregistrant les discours présidentiels, ayant échappé aux mammifères rongeurs. Pour les restaurer et les reverser dans le numérique, dans l'espoir de les voir un jour se décider à faire entendre la voix de Bourguiba. Qui leur dira alors combien ils devraient être fiers d'avoir eu, à une époque donnée, un chef d'Etat qui s'appelle Bourguiba.