Ils font actuellement l'objet de tous les hommages, et ce n'est que largement mérité. La Garde nationale, corps d'élite de la Tunisie, était, ces derniers temps, sur tous les fronts, de tous les combats, et hélas, de tous les sacrifices. Cette garde républicaine, dévouée à la seule nation, sans états d'âme, ni hésitations, a, cependant, une longue et belle histoire. Nous avons rencontré l'un de ses vétérans, Noureddine Chaouachi, qui faisait partie du premier contingent, et qui a été parmi les premiers appelés à constituer ce corps d'élite. Pour La Presse, qui est son journal favori, il a évoqué ses souvenirs. Jeune élève au lycée de Mégrine, il faisait partie de cette classe qui maîtrisait aussi bien l'arabe que le français. Et lorsque Taïeb Mhiri, premier ministre de l'Intérieur de la jeune République, qui fréquentait la banlieue sud, et connaissait leurs parents, envisagea de créer un corps de «Haras», c'est à eux qu'il pensa en premier lieu. Noureddine Chaouachi faisait partie de cette élite de quatre ou cinq jeunes gens retenus pour la passation des postes de la gendarmerie française à Haras El Ouatani : passation des lieux et du matériel. Il se souvient avec beaucoup d'émotion : «Notre premier uniforme arborait d'ailleurs une casquette». Après ce baptême du feu, la jeune recrue fut appelé à Gorjani où le premier directeur de la Garde nationale, qui était un civil, Tijani Ktari, créa l'état-major, et le premier contingent de Haras El Ouatani. On y intégrait les militants qui descendaient du maquis, mais également les gendarmes tunisiens qui avaient préservé leur nationalité tunisienne, et souhaitaient être intégrés. Le premier régiment de 300 gardes nationaux fut installé à Bouficha, cohabitant avec les Français qui n'étaient pas encore tous partis. C'est à cette époque que furent plantés les énormes eucalyptus qui bordent aujourd'hui la route. Noureddine Chaouachi qui avait suivi une formation d'architecture fut alors envoyé à la caserne de Bir Bou Regba où l'on installait l'Ecole de la garde nationale. Tout était à faire : la route entre la gare et l'école, l'aménagement, l'alimentation en eau. Et fort de cette première expérience, après une formation militaire qui le promut sergent-chef, il fut chargé par l'état-major de l'équipement de toutes les casernes du pays. Le voilà sillonnant la Tunisie, apprenant à la connaître dans ses moindres détours, ses montagnes et ses campagnes, ses côtes et ses frontières, ce qui allait, bien sûr, beaucoup le servir dans sa carrière d'homme de terrain. Sa carrière, et il n'en parle que modestement, est émaillée de hauts faits. Noureddine Chaouachi a été de tous les fronts, de toutes les batailles. A Bizerte, où il participa aux combats de rue, encercla la caserne de la Pêcherie, et où son bataillon réussit l'exploit de faire 70 prisonniers. A Kairouan, lors des échauffourées, à Gafsa, au moment de la révolte, sur la frontière libyenne, quand il y eut des troubles. De ces batailles, il lui reste des traces dans sa chair : des brûlures au napalm. Mais il lui reste surtout de grands moments de fierté : quand il rencontra Dag Hammarskjöld venu à Bizerte. Quand Bourguiba le décora en présence de Ben Bella, de Mohamed V, de Moulay Idriss et de Gamal Abdennasser. Sa victoire au championnat de tir, et la récompense offerte : un voyage en Italie pour être félicité par Bourguiba qui y faisait une cure. Il lui reste aussi des souvenirs à partager : les deux fusils entrecroisés qui surmontent l'entrée de la caserne d'El Aouina, qu'il y avait installés. Le voyage à Ulm, en Allemagne, où on lui demanda de sélectionner le matériel de lutte contre l'incendie quand il s'agit de créer la Protection civile, et qu'il devint instructeur spécialisé en feu et en sauvetage. Et quand on lui demande quels ont été les mauvais moments et les mauvais souvenirs de cette vie de fer et de feu, il avoue ne pas en trouver, ni dans les risques encourus, ni dans les conditions spartiates de sa vie. Peut-être une légère amertume de ne pas avoir vu tous ses efforts récompensés par l'évolution de sa carrière, et d'avoir quelquefois dû se faire distancer par d'autres, mieux introduits, plus recommandés. Mais aujourd'hui, son fils a suivi ses traces, et est lui aussi garde national. Et son petit-fils n'espère qu'une chose, pouvoir intégrer ce corps lui aussi.