Célébration de la Journée internationale de la danse et coup d'envoi de la 14e édition du Festival «Tunis, capitale de la danse», mercredi dernier à la salle du Quatrième Art. Le jour de la célébration de la danse en Tunisie est, selon Sihem Belkhouja, présidente de Ness El Fen et organisatrice du Festival «Tunis, capitale de la danse», en collaboration avec Cid-Unesco à Tunis et l'Institut français de Coopération de Tunis, l'occasion de réaffirmer le rôle de la danse en Tunisie en tant que moyen de résistance à l'obscurantisme et aux «forces du mal qui redoublent de violence et de barbarie» hantant le pays et le monde entier. Mercredi dernier, devant un public composé des membres du jury et du public, Sihem Belkhouja n'a pas tari d'éloges pour les artistes et les amateurs de la danse contemporaine, et c'est au 4e art qu'à eu lieu, donc, le coup d'envoi de la 14e édition des deux festivals «Tuni, capitale de la danse» et «Kalimat» (le marathon des mots). C'est, également, l'occasion de découvrir les diverses créations de nos chorégraphes-danseurs qui essayent de proposer au spectateur une expérience unique où le corps est évoqué comme une «masse ouvrière de l'art», où «la création apparaît comme un acte résistant, vain mais essentiel!». Le programme a démarré, avant-hier jusqu'à 18h00 avec l'opération «Feux Rouges» dans les artères stratégiques de la ville de Tunis et ses banlieues (Centre-Ville, El Menzah, le Bardo...), avec la mobilisation de plus de 100 danseurs. Sur la scène du Quatrième Art, «Aswat» de Thouraya Boughanmi, avec Kaïes Rostom, Aymen Mejri, Oumayma Bahri ouvrait le bal. Dès les premières secondes, alors même que la salle et la scène étaient encore plongées dans le noir, les tambours et les percussions émanaient du coin de la scène, produisant des sons au timbre organique et annonçant la présence des corps à venir. Un écran géant occupant le fond de la scène projette une infinité de traits sombres entrelacés et entrecoupés qui défilent en filigrane. Puis, la lumière s'allume, enfin, sur les trois interprètes, un homme et deux femmes. Et s'il ne s'agissait pas d'une coïncidence ? Cet homme et ces deux femmes souffriraient-ils d'un quelconque malaise physique ou psychique, empêtrés qu'ils sont dans leurs gestes inachevés et malhabiles, désorientés, luttant constamment pour maintenir un semblant d'équilibre? S'appliquant à recommencer toujours les mêmes «figures», jamais vraiment abouties, ils finissent par intriguer l'auditoire par leurs mouvements parfois incompris. D'autant plus que leurs déplacements sur scène obéissent au doigt et à l'œil à la partition du «batteur», les privant ainsi de tout libre arbitre. En présentant sa création, Thouraya Boughanmi indique que «Aswat» est une approche de la «création» scénique qu'elle expérimente depuis cinq ans «en "convergence" avec un mode de composition musicale et picturale par strates successives, par boucles et par couches successives». Derrière tout cela, la chorégraphe tire les ficelles, s'amuse à croiser les trajectoires de l'homme et des deux femmes, dont elle fait partie, qui font finalement le choix de s'imbriquer pour devenir une masse homogène et sonore. Corps contre corps, échanges de soupirs, gestes amoureux. Tout se raconte autour de ces «corps» ; le rapport avec l'autre, le rapport homme-femme, Homme-culture, Homme-civilisation, Homme-religion et les maux dont souffre notre société à l'heure actuelle : dogmatisme, fanatisme, terrorisme, etc. Tout cela dans un espace-lieu où la rencontre devient paradoxale, à la fois désirée et appréhendée. Les danseurs sont dans une configuration spatiale où les mouvements se jouent dans une sorte de «rejet» attractif. L'autre est cet inconnu qui pourrait être l'ami(e), l'amant, l'ennemi ou un étranger, à la fois objet de désir et de répulsion. On se touche, on se regarde, on se bouscule, on s'évite, on court et on se cherche dans un flot continuel de rendez-vous manqués, de contacts rapides, de regards jetés. Les rencontres sont toujours déséquilibrées, furtives presque commencées et jamais vraiment finies. Puis, les corps des deux femmes sont décuplés par un encombrant tissu noir en guise de «Niqab» ou Burka. Telles deux sirènes se noyant dans des marées noires ou des papillons pris dans les fils d'une toile d'araignée peinent à se sauver. Alors que les sons des tambours et les percussions résonnent, le danseur incarne l'image du terroriste et du faux religieux qui n'arrive pas à trouver le salut. C'est un jeu de lâcher-prise. Le danseur devient une individualité qui se cherche. Une entité qui se libère de ses entraves par les mouvements de son corps dans un ultime solo bondissant. La lutte par la danse, par la culture est aboutie. Au final, les corps sont libérés, apaisés et réconciliés, leurs âmes aussi. «Aswat» est une œuvre courageuse qui lutte à sa manière contre l'obscurantisme. Elle parle de vous, de l'autre, littéralement, du meilleur et du pire !