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Azzedine Guellouz : Confession d'un protégé de Mohamed Attya
Publié dans Leaders le 21 - 06 - 2015

D'autres, que leur carrière désigne plus que la mienne pour cette tâche, présenteront la biographie du premier proviseur tunisien du Collège Sadiki que fut, depuis la perte de notre indépendance, Mohamed Attya, un digne émule de Khaireddine, l'illustre fondateur.
D'autres feront avec plus de talent, politique et juridique, le réquisitoire qui s'impose contre ceux qui, déployant leurs talents d'histrions et de clowns, s'arrogèrent le droit d'accabler Mohamed Attya lors d'une parodie de procès.
Moi, je me contenterai d'évoquer les moments où, enfant, puis adolescent, puis adulte, j'ai eu à bénéficier de la protection bienveillante de cet homme. Ce qui permettra de voir, puisque le procès qu'on lui a fait tournait précisément autour du favoritisme qu'on l'accusait d'avoir pratiqué, qu'il a bien protégé, à un moment ou à un autre de leurs études, un nombre considérable de jeunes dont l'éducation lui était confiée. Cette aide est toujours intervenue à point nommé pour éviter que les aléas de l'existence empêchent des potentialités de porter leurs fruits.
En ce qui me concerne, j'ai bien été son protégé puisqu'à trois étapes de ma vie son intervention a été salutaire et m'a permis de réaliser des projets qui sans lui n'auraient pas abouti : il m'a fait la faveur de me permettre d'être sadikien ; il m'a évité de quitter le collège Sadiki avant l'heure ; il m'a permis de fuir une affectation prématurée à Sadiki.
Il m'a fait la faveur de me permettre d'être sadikien
Ayant, à cause de la carrière administrative de mon père, terminé mon enseignement primaire à un âge où je ne pouvais me présenter au concours d'entrée dans ce prestigieux collège, il a œuvré pour que j'obtienne la dérogation qui me permettait d'affronter les épreuves alors que je n'avais pas les douze ans requis.
Je me souviens en effet très bien de ce jour de l'hiver 1942-1943 où, sortant de mon koutab metlinois, je passais au bureau de mon grand-père, comme je le faisais quotidiennement, pour lui baiser la main et échanger quelques mots avec lui sur ma sourate du jour et sur une actualité qui, en cette année de Stalingrad, était riche et dont il était informé grâce aux deux seuls quotidiens qui parvenaient au village. Et voilà que je le trouve en conversation avec deux visiteurs, visiblement des notables venus de la capitale. On fit fête au petit garçon et on en complimenta le grand-père. Puis très vite vint la question : « en quelle classe est-il ? » Mon grand-père laissa tomber « au koutab d'à côté ». Il savait sans doute l'effet que ferait une telle réponse. C'est alors que vinrent les explications. Depuis le débarquement allemand et la fermeture de Bizerte à la population civile, ma mère et ses quatre enfants étaient à Metline où mon père, alors khalifa de Bizerte, venait leur rendre visite au gré de ses rares moments de liberté.
J'avais donc dû quitter ma classe de sixième classique entamée au collège Stephen Pichon au mois d'octobre précédent. Mon grand-père n'avait alors pas eu de mal à me trouver une occupation. Il avait en effet sans doute mal supporté -évidemment sans le dire- que son premier petit-fils avançât dans la vie scolaire avec le bagage coranique restreint au minimum inscrit au programme des écoles dites franco-arabes. Un enfant qui n'a pas appris la totalité du Coran c'eût été une première dans la famille. Alors l'un des visiteurs dit : « Voilà une situation dont pourra venir à bout Si Mohamed ». Il s'agissait de Si Mohamed Attya, le directeur du collège Sadiki et gendre de notre interlocuteur, Si Abdessatar el Bahri. Et de proposer à mon grand-père de nous obtenir une entrevue au collège Sadiki avec la personne la plus qualifiée pour ouvrir à nouveau la perspective à laquelle les circonstances nous avaient fait renoncer.
Quelques jours plus tard, j'accompagnai mon père au bureau de Si Mohamed Attya. Il proposa, au vu de mes antécédents, la solution. Par dérogation, l'enfant Guellouz pourrait passer les épreuves du concours d'entrée qui, en cette année 1943, avait été exceptionnellement reporté à octobre. Je puis alors me mettre à la préparation tout en continuant à fréquenter mon koutab. Le jour venu, je me présentai et quelques jours plus tard je devins, de manière tout à fait régulière, au prix modique d'un redoublement qui n'en était pas vraiment un, le quatrième Guellouz admis dans la prestigieuse institution. C'est ainsi que, grâce à l'attention que Si Mohamed Attya a bien voulu prêter à mon cas, sans pour autant me faire bénéficier du moindre favoritisme, j'ai pu recevoir un enseignement bilingue -arabe/français- et côtoyer des compatriotes de valeur venus de tous les horizons.
Il m'a évité de quitter le Collège Sadiki avant l'heure
Mon père et mon oncle avaient respectivement participé aux manifestations contre le Congrès eucharistique en 1931 et, le 9 avril 1938, contre le déclanchement de la répression. Tous les deux ont payé leur engagement par l'exclusion du collège à quelques semaines des épreuves du prestigieux diplôme de Sadiki. Mon originalité à moi consista, en tant que membre de la jeunesse scolaire, à participer au mouvement international contre le colonialisme. Rétrospectivement un tel engagement paraît tout naturel et bien dans la ligne du militantisme patriotique de nos aînés. Mais la chose n'était pas aussi simple. Depuis quelque temps, la direction destourienne tenait à marquer les distances à l'égard du « progressisme » international, par souci d'amener au soutien de notre lutte anticolonialiste les milieux démocrates et syndicalistes américains. De là l'adhésion de l'UGTT à la CISL précédée de sa rupture avec la FSM. Cette option eut une nouvelle occasion de se manifester. Le thème de la lutte pour la paix apparaissant comme une des formes larvées du communisme, les instances destouriennes, en l'absence mais non sans l'accord de Bourguiba alors en exil, mettaient les militants en garde contre ses séductions. Telle ne fut pas l'opinion d'une personnalité destourienne de premier ordre, membre du bureau politique, le docteur Slimen Ben Slimen, qui épousa la thèse de l'internationalisation et proclama que la lutte pour la paix englobait la lutte pour l'indépendance. La situation géopolitique -guerre au Vietnam et progression triomphale de la révolution en Chine en tout premier lieu- en offrait bien des exemples. Il se fit le champion de cette cause dans les colonnes de la presse destourienne. Et dans les cellules destouriennes où prédominaient les intellectuels ces idées faisaient leur chemin, sans que cela se traduisît par un affrontement avec une hiérarchie dont on connaissait pertinemment les préférences. C'était aussi le cas parmi les étudiants tunisiens à l'étranger, nous l'avons appris depuis par les archives, car à l'époque on nous racontait même le contraire et on essayait de nous faire honte de notre hétérodoxie en évoquant la fidélité de nos aînés à l'orthodoxie.
Avec mes camarades pensionnaires, nous avons quitté illégalement les lieux en faisant le mur et nous avons pris la parole au rassemblement. Le lendemain on nous signifia une exclusion dont nous ignorions la durée. Nous étions à quelques jours des vacances de « Pâques ». Entre temps notre grâce fut obtenue et nous reprîmes les cours comme tous les autres. Il va de soi que cette rentrée en grâce auprès de la Direction de l'Enseignement et auprès des instances destouriennes que nous avions mécontentées en participant à une manifestation dont elles avaient été absentes alors que, toute l'année, elles avaient, comme ça avait été déjà le cas, laissé entendre qu'elles y participeraient, était l'œuvre de Si Mohamed Attya. Certes considérait-il -et il nous le signifiait- que la participation des étudiants et, a fortiori, des élèves du Secondaire aux événements politiques ne devait jamais prendre des formes susceptibles de compromettre des performances scolaires et universitaires indispensables au succès de la lutte pour l'indépendance. C'est que cet homme, qui avait milité dans les rangs de « l'archéo-destour », avait été aussi le premier Tunisien agrégé de l'Université, française, titre dont l'obtention fit en elle-même événement. On peut le mesurer aux solutions qui furent alors envisagées : on lui offrit notamment la nationalité française ; ce que, tout naturellement, il refusa. Mais c'est bien pourtant grâce à Si Mohamed que notre modeste contribution à la lutte patriotique élargie à la lutte de l'ensemble des peuples opprimés ne nous coûta pas ce qu'avait coûté à nos aînés leur participation à d'autres combats.
Il m'a permis de fuir une affectation prématurée à Sadiki
Au terme d'un premier parcours universitaire pour lequel, malgré les démarches de sommités intellectuelles et universitaires auprès de la Direction de l'Enseignement, je n'avais pu obtenir de bourse tunisienne (le fameux prêt d'honneur), la première année parce que j'avais demandé -et obtenu- mon inscription à l'hypokhâgne du lycée Louis-le-Grand alors qu'une hypokhâgne existait au lycée Carnot, et les suivantes précisément parce que j'avais commis ce premier impair, et, considérant que j'avais assez coûté à mon père pendant ces quatre années, je décidai d'entrer dans la vie active avec le bagage que j'avais acquis : deux licences et quelques certificats d'études supérieures supplémentaires. Je fus recruté comme professeur au Collège Sadiki. Quand je vins saluer mon directeur, je compris que ma nomination dans son établissement était due à son appui mais qu'en revanche il n'était pas du tout, mais pas du tout, satisfait de me voir abandonner les études supérieures avant l'obtention d'un titre de plus haut niveau et pour tout dire de l'agrégation. De toute évidence, il paraissait décidé à tout faire pour que je reprenne le chemin du Quartier latin.
Nous étions à peine au milieu du mois d'octobre quand me parvint une nouvelle qui tenait du miracle. L'Institut d'Etudes Politiques de Paris m'accordait une bourse dans la section la plus prestigieuse de l'établissement, la section de service public, où on rassemblait les étudiants qui préparaient parallèlement l'entrée à l'ENA. Je ne m'y attendais pas. Je ne l'avais pas demandée. C'est mon professeur de français à Louis le Grand, Roger Pons, qui avait pris cette initiative. Il s'était adressé à son ancien condisciple, alors directeur de Sciences Po, Monsieur Chapsal et il avait eu plus de succès qu'il n'en avait eu les années précédentes auprès de son autre condisciple, Lucien Paye, Directeur de l'Enseignement de Tunisie. Alors en effet il avait reçu de ce dernier une lettre, manuscrite, qu'il me montra après m'avoir prévenu qu'elle l'avait scandalisé. Le signataire ne se contentait pas de ne pas accéder à sa demande me concernant. Il ajoutait expressis verbis qu'il le prévenait contre le faux brillant des élites de ce pays. Cette opinion était suivie d'allusions pour le moins discourtoises à un Tunisien ancien élève de la prestigieuse Ecole Polytechnique et de Sciences Po, entre autres. J'expliquai à mon maître qu'il s'agissait de M'hamed Ali Annabi. Cela permet au lecteur de 2012 de mesurer combien l'atmosphère politique de l'époque obscurcissait des esprits par ailleurs remarquables : je tiens en effet à préciser que j'ai eu par la suite maintes occasions d'apprécier les qualités intellectuelles de Lucien Paye et d'apprendre qu'avant d'être affecté en Tunisie il figurait parmi les penseurs libéraux.
Il va de soi que je m'empressai de faire part à mon directeur de ce que je devinais être pour lui aussi une bonne nouvelle. Il me dit qu'il allait demander que je sois reçu par le directeur de l'enseignement tout en me prévenant que j'allais me heurter à un refus. Je fus en effet reçu par le directeur lui-même, assisté, je m'en souviens, de son second, Monsieur Calvet. Il me fut signifié qu'il était impossible de me permettre de quitter mon poste. Alors que je n'avais été nommé qu'à titre précaire et révocable, mon cas était traité comme s'il s'agissait du détachement d'un titulaire d'autant plus précieux qu'il officiait dans deux spécialités : l'arabe et le français.
Quand je vins, tout de suite après, rendre compte de l'entrevue et confirmer que tout s'était passé comme prévu, Si Mohamed me révéla le plan qu'il avait établi. Je devais scrupuleusement assurer mes cours jusqu'au soir du 31 octobre et prendre le premier avion du lendemain. Ainsi fut fait. Je me trouvai dans l'avion Tunis-Paris le 1° novembre 1954. Ma conversation avec mon voisin de siège porta donc sur les premières nouvelles qui parvenaient du début de l'insurrection en Algérie.
On ne pourra pas me convaincre qu'un chef d'établissement secondaire qui, en prenant des risques, a échafaudé jusque dans le détail le plan permettant à un de ses enseignants de déserter pour pousser le plus loin possible sa formation peut être soupçonné de collaboration avec les autorités du protectorat.
Comme tout le monde j'ai été étonné quand me sont parvenus les échos d'un procès Attya. Et j'ai été indigné quand j'ai mesuré la part spectaculaire qu'y a prise Azzouz Rebaï. C'est la connaissance que, déjà avant ce procès, depuis l'affaire Slimen Ben Slimen, j'avais de ce personnage qui suscita cette indignation. Ce qui par la suite la confirma, c'est de l'avoir vu, sous le régime Ben Ali, s'acharner sur ce même Bourguiba qu'il avait naguère chauffé à blanc contre Si Mohamed en exploitant sa néfaste susceptibilité. C'est en effet lui qui avait transformé en véritable haine ce qui n'avait été jusque là que souvenir de rivalités entre anciens condisciples au collège Sadiki, puis à Paris, champions, l'un de Monastir, l'autre de Sousse.
En rappelant des attitudes aussi généreuses envers un de ses disciples devenu son collaborateur que courageuses face au colonialisme, j'ai le sentiment de rendre service à mon pays. La Tunisie peut, à juste titre, inscrire à son Panthéon un grand pédagogue en même temps qu'un grand patriote : Mohamed Attya.


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