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Khadija Taoufik Moalla: Sur les traces de Lina Ben Mhenni la ‘faiseuse de vie' !
Publié dans Leaders le 15 - 08 - 2020

Par Khadija Taoufik Moalla - Vous est-il arrivé de recevoir un courrier personnel et de sentir qu'il a en fait été envoyé à tout le peuple Tunisien ? C'est ce que j'ai ressenti quand j'ai lu le message du grand acteur et intellectuel Canadien Vincent Graton et c'est pour cela que j'ai décidé de le partager avec vous.
Vincent me dit dans son e-mail : « Il y a des êtres que nous croisons un avant midi et que nous portons ensuite pour la vie. J'ai eu cette émotion en te croisant quelques heures toi et ta famille. J'ai eu le même sentiment avec Lina… Lorsque j'ai appris sa mort, j'ai pleuré comme un frère.
Lorsque j'ai rencontré Lina, la première chose qui m'a profondément marqué, au-delà de son aura, de son charisme, de sa si belle humanité fût son courage de femme libre, affranchie. Pendant quelques heures, j'ai partagé l'intimité d'une guerrière lumineuse, d'une femme d'honneur que rien ne peut acheter. Pendant quelques heures, j'ai rencontré une femme d'action, qui ose se mettre le cœur et les mains là où la grande majorité n'ose pas aller. On va se le dire, des hommes et des femmes qui vivent en harmonie avec leur quête d'absolu et qui le font sans compromis, il n'y en a pas des tonnes. Lina ne s'est jamais sauvée. Elle a toujours fait face.
Malgré une tête mise à prix, Lina a toujours suivi son chemin de militante pour que les femmes de Tunisie vivent dans l'égalité, la justice et la dignité. Rien n'aurait pu la détourner de sa route. Elle laisse des traces immenses, pleines d'espérance.
Certains choisissent d'être des salisseurs, des fossoyeurs, des destructeurs, Lina était une faiseuse de vie. Les traces qu'elle laisse regorgent de beauté. L'autre chose qui a frappé l'équipe de tournage, fut sa fatigue, comme une fatigue ancestrale. À travers ses yeux, son souffle, ses silences, son regard vif qui scrutait l'espace à la recherche du moindre signe, je sentais cette fatigue immense. Comme si elle était allée au bout d'elle-même. Lina donnait. Sa vie fût une offrande.
Quand je suis rentré à l'hôtel après ces heures vécues avec elle, j'ai médité, j'ai prié. Tu me connais mon amie, j'ai prié au-delà des églises et des religions. Je me suis recueilli dans la paix pour elle. Je savais que je ne la reverrais plus ! C'est fou quand même...quelques heures passées à Tunis, avec une jeune femme qui se confie, qui parle des gens de son pays et qui marque pour la vie. Une femme de Tunisie qui vit dans le cœur d'un homme d'un autre continent.
Il y a des salisseurs, des fossoyeurs, des destructeurs…c'est vrai. Mais à contre-sens, il y a des hommes et des femmes qui nous réunissent, qui créent des liens, qui bâtissent des ponts entre les communautés, les races, les territoires. Lina portait cette grandeur, cette immensité…une bonté inépuisable. Dis à sa famille que quelque part en Amérique, un homme porte la mémoire de Lina Ben Mhenni au fond de son âme. À son éternité ! Vincent ».
Je suis certaine que vous comprenez pourquoi cette lettre d'une rare beauté m'était aussi bien destinée, qu'elle l'est à vous toutes et tous, et que je me devais de la partager !
Quelle force avait donc Lina pour avoir pu transmettre, l'espace d'un instant, tellement de valeurs à ce grand acteur doué d'une grande culture, qu'est Vincent Graton? Ce que Lina a pu transmettre, aucune ambassade n'aurait pu le faire en aussi peu de temps, et sans aucun artifice ! Donner la plus belle image de notre pays, sans rien attendre en retour, défendre les droits des femmes, sans même avoir besoin de dire un seul mot, car elle personnifie ces droits mieux qu'aucune parlementaire ne pourrait jamais le faire ! Lina n'a pas eu besoin de se présenter à aucune élection, elle est l'élue de cœur de tellement de jeunes de notre pays qui ont vu en elle l'espoir d'une Tunisie debout fière et belle à vous couper le souffle !
Quand j'évoque son nom devant ma benjamine, son visage s'illumine et elle me raconte combien Lina l'a soutenue, elle et ses amis durant les manifestations pour la protection des droits des animaux. Qu'il pleuve ou qu'il vente me dit Yasmine, Lina a toujours été là pour nous filmer chaque fois que nous protestions devant le Zoo du Belvédère, pour réclamer la libération d'animaux enfermés dans les pires conditions. Avec l'acteur Nejib Belkadhi, Lina n'a jamais manqué à l'appel. Puis elle partageât avec moi la vidéo de l'hommage rendu par Jalel Brik à Lina qui a eu le courage d'aller lui rendre visite à Paris.
Lina et moi avons eu le privilège d'avoir été choisies pour partager, chacune selon son parcours, les valeurs et les principes fondamentaux que nous défendons. Et en attendant que le film : « Quand les pouvoirs s'emmêlent » soit projeté en Tunisie, j'ai eu l'idée de recueillir les témoignages et les souvenirs que les deux scénaristes et productrices Canadiennes Louisa Déry, et Michèle Grondin, ont gardé de leur rencontre avec Lina, en plus du témoignage de Vincent.
Toutes les deux ont accueilli l'idée et Louisa commença par me dire : « Nos recherches pour notre documentaire nous ont menées à plusieurs reprises vers Lina à cause de son blog ‘Tunisian Girl'. Il y avait de la censure sur l'information en Tunisie et Lina avait appris les outils et les moyens de faire connaître au monde entier ce qui se passait pendant le printemps Arabe. Elle faisait partie de la nouvelle histoire de la Tunisie, et nous voulions qu'elle partage son parcours et surtout qu'elle témoigne de la place importante qu'ont toujours joué les femmes et les jeunes en Tunisie. Lina était enchantée de la démarche et impatiente de nous recevoir à Tunis ».
J'étais curieuse de savoir ce qui a le plus frappé Louisa et Michèle quand elles ont rencontré Lina pour la première fois et quels souvenirs ont-elles gardés d'elle ?
Michèle me répondît : « Le niveau d'engagement de Lina était impressionnant. Au Québec, nous n'avons pas la même urgence, nous ne faisons pas face aux mêmes dangers lorsque nous choisissons de militer pour une idée ou des valeurs humanitaires. Lina poursuivait sa démarche, sans fléchir, malgré les menaces, malgré le fait que son nom se soit trouvé sur des listes, malgré le fait que des gestes d'intimidation aient été portés contre elle. Même affaiblie par sa maladie, elle n'a pas hésité à nous accorder deux entrevues, dont une en pleine manifestation. J'ai aussi été impressionnée par sa nature calme et posée. Malgré tous les choix difficiles qu'elle avait fait, nous ne sentions aucune rancœur, aucune rage, mais plutôt un vrai désir de faire changer les choses, pacifiquement ».
Louisa renchérit en disant : « Ma rencontre avec Lina m'a beaucoup marquée ! Nous avions rendez-vous avec l'équipe de tournage le 12 janvier 2019, journée dédiée à une manifestation organisée dans le cadre de la contestation sociale contre la loi de finances. Nous l'avons rencontré au Café du Théâtre sur l'avenue Habib Bourguiba, lieu significatif pour nous, mais nous étions loin de savoir ce qui nous attendait pour notre première journée de tournage.
Notre équipe s'est mêlée à la manifestation, où nous avons suivi ce petit bout de femme qui nous a tous envoutés par son engagement, sa sincérité et sa disponibilité, et surtout par son parcours. Nous ne connaissons pas ce modèle de défendeurs de droits humains au Québec. Nous avons eu la chance de la voir en action avec ses pairs. À elle seule, elle nous faisait rencontrer LA Tunisie avec toutes ses préoccupations et chose surprenante, avec sa personnalité, douce, souriante et gaie ».
Je ne pouvais pas laisser cette opportunité sans m'enquérir sur les valeurs universelles que Lina a défendu lors de ces deux entrevues ?
Louisa me répondît : « Je pense encore souvent à Lina à cause de l'image d'une militante féministe que j'ai découverte. De mon Québec pacifique, je croyais que pour être engagé comme Lina dans une nation Arabe qui ne favorise en rien le sort des femmes, il fallait nécessairement être une personne dure, rébarbative, insatisfaite et en colère. Grâce à Lina, j'ai compris que le but d'une vraie combattante, c'était de faire la guerre à l'injustice par la patience, la communication, la douceur, l'amour et le don de soi. Elle laisse le souvenir indélébile d'une personne inspirante ».
En réponse à la même question, Michèle me dit : « Voici une phrase qu'elle a dite à Vincent et qui résonne toujours dans ma tête : « Je veux que les mentalités changent, tout en suivant les lois… parce que les lois, c'est de l'encre ». La majorité des Québécois partagent cette idée que défendait Lina : la religion ne doit pas dicter nos comportements sociaux, ni restreindre les droits d'un groupe face à un autre. Ici aussi, nous faisons face à des adversaires qui voient la laïcité des Etats comme un mouvement d'exclusion plutôt que d'inclusion. Et comme Lina, nous avançons nos idées de manière pacifique. La liberté des citoyens de croire ou de ne pas croire, ou de croire dans le Dieu de leur choix sans être jugé. La liberté d'agir socialement que l'on soit un homme ou une femme, dans le respect. Voilà ce qu'on peut souhaiter à toutes les sociétés du monde et c'est cette idée que je partage avec Lina, ainsi que l'urgence de défendre les libertés menacées ».
Personnellement, j'attends avec impatience que le Ministère de la Culture en Tunisie ou que les directeurs de festivals décide de projeter ce film documentaire : « Quand les pouvoirs s'emmêlent » qui a choisi de faire le portrait de certaines femmes, en 2019, provenant de 4 pays uniquement que sont: la Tunisie, la France, les Etats-Unis et le Québec (Canada).
Avoir choisi de filmer en Tunisie est un grand honneur et j'avais hâte de savoir quelle impression a laissé notre pays sur les deux réalisatrices. Louisa me dit : « Dès que nous avons entamé le tournage, j'ai été sous le choc pendant les 8 jours de notre présence à Tunis. Malgré un séjour précédent à Hammamet, cette fois-ci je voyais une autre Tunisie, grâce à des femmes qui me laissaient voir que nous sommes très semblables dans nos émotions et dans nos désirs de liberté ».
Pour Michèle : « La détermination des femmes Tunisiennes et des hommes aussi qui croient en l'égalité et la laïcité des Etats, est riche d'enseignements. Leur réflexion basée sur des connaissances historiques est profonde, ainsi que leur désir de faire avancer la cause par le dialogue. Au début, nous pensions faussement qu'il nous serait difficile de nous rapprocher des militants et des militantes en Tunisie. Eh bien non, c'est en Tunisie que nous avons rencontré la plus grande ouverture et le plus grand courage. Parce que du courage il en faut pour continuer à défendre ses opinions lorsque sa vie est menacée.
L'altruisme des militants et des militantes m'a beaucoup inspirée, car celles et ceux que nous avons rencontrés faisait le choix de continuer de lutter pour assurer l'avenir des femmes Tunisiennes, toutes générations confondues. Je chéris dans mon cœur et ma mémoire chacune de nos rencontres ».
Michèle a conclu son e-mail en me disant : « Nous avons été privilégiés de vous rencontrer, tous et toutes. Le film a fait le tour du Québec. Il est parmi les documentaires les plus écoutés sur Tou.tv, chaine web affiliée à notre télévision d'Etat, et ici Radio-Canada Télé, qui ont présenté le film au début de 2019. Ce serait un honneur de pouvoir le présenter en Tunisie en hommage à cette magnifique Tunisienne qu'a été Lina Ben Mhenni ».
Quant à Louisa, elle a conclu en disant : « Lors de notre entretien avec vous Khadija, vous avez exprimé une idée très juste : on doit se rejoindre dans notre humanité et non par nos religions. Si les leaders politiques et religieux reprenaient ces paroles, il n'y aurait plus de guerre ! C'est tout de même incroyable qu'un principe aussi simple puisse tout changer, et c'est en Tunisie que je l'ai saisi. Notre documentaire a eu beaucoup de visionnages au Québec, accompagnés par beaucoup d'échanges avec le public. Les commentaires ont toujours été élogieux pour les femmes de la Tunisie, et souvent les mêmes remarques que mon constat : on se ressemble comme peuples ».
Pour ma part et après ce voyage sur les traces de Lina Ben Mhenni, à travers les témoignages de cinématographes d'un autre continent, qui ne l'ont connue que pendant une journée ou deux, je demeure persuadée que la voix de Lina Ben Mhenni via ses blogs enflammés et sa participation effective aux différentes marches de lutte avant, pendant et après la révolution, lui a fait gagner l'amour et l'appréciation des jeunes de sa génération. Elle continuera d'inspirer celles et ceux qui aspirent à la liberté, à la défense des droits humains universels, et peut-être à suivre son chemin.
J'ai toujours su au fond de moi même, que les êtres comme Lina ne disparaissent pas vraiment, seul leur corps fatigué décide un jour de se reposer. Leur âme continue à hanter les lieux où elles ont vécu car elles savent que la lutte doit continuer contre les forces obscurantistes qui veulent emprisonner l'esprit des jeunes dans l'ignorance et le désespoir. Ces âmes telles des flambeaux au milieu de la nuit, continueront à éclairer le chemin des amoureux de la liberté.


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