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Ammar Mahjoubi: Paganisme et croyances
Publié dans Leaders le 27 - 05 - 2022

C'est dans les inscriptions chrétiennes du début du IVe siècle qu'apparaît, pour la première fois, le nom «pagani» (païens), un terme de la langue parlée qui, dans l'usage quotidien, désignait soit des «civils» que le baptême n'avait pas enrôlés parmi les «soldats du Christ», soit des paysans. Les «pagani» étaient donc des incroyants qui ne participaient pas au combat qui éclairait la vision chrétienne de l'existence. Les chrétiens forgèrent aussi le mot «paganisme» qui, arbitrairement, attribuait aux païens un système doctrinal, alors qu'à présent, les historiens définissent plus exactement la religion païenne par un ensemble de rites, d'actes cultuels.
Les païens accomplissaient des rites, des gestes méticuleux ; ils n'étaient pas tenus d'adhérer à des croyances révélées, n'étaient pas exhortés à la foi et se contentaient d'offrir aux dieux libations et victimes animales. Il n'y avait pas non plus un concept païen d'« hérésie». «Hairesis» désignait en latin une école de pensée et non pas une doctrine fausse ou pernicieuse, et s'appliquait aux enseignements de différentes écoles philosophiques, ou même à certaines écoles de médecine.
Les païens eux-mêmes mettaient l'accent sur les gestes rituels de leurs dévotions. Au temps des persécutions, ce que les juges des tribunaux romains exigeaient des chrétiens accusés d'impiété envers les dieux, c'était de s'acquitter, par le sacrifice, de la geste cultuelle sans autre exigence, sans même invoquer les croyances inhérentes. Actes jugés suffisants pour s'assurer «la paix des dieux». «Ceux qui ne sont pas des adeptes de la religion romaine, qu'ils observent les cérémonies religieuses romaines» (Acta Cypriani, I,1), écrivaient en 257 au proconsul de la province africaine les deux empereurs régnants. Le mot «religio», dans ce texte, signifiant la crainte révérencielle présente dans tous les cultes et s'opposant à «superstitio», qui dénonce la crainte excessive et injustifiée. Mais «l'idée même d'action (l'accomplissement de l'acte du sacrifice) implique intention, motivation ou dessein et un certain rapport à la croyance, même si ce n'est pas sous une forme forte, à la manière chrétienne» (Robin Lane Fox, Païens et Chrétiens, Presses Universitaires du Mirail, p. 34).
Il y avait trop de cultes, trop de dieux, trop de mystères, mais sans aucun signe de concurrence dans la quête des adhésions, et on pouvait accumuler les assurances religieuses sans se sentir pour autant en sécurité. Le païen pouvait aussi adhérer à un seul dieu, tenu pour son protecteur particulier, mais il ne se convertissait pas à un seul dieu ; et malgré la multiplicité des cultes, il ne montrait aucun désarroi devant la variété des choix. Par contre, le désarroi portait l'empreinte du christianisme, comme la concurrence pour s'adjoindre des convertis était uniquement la préoccupation des philosophes. La diversité permettait aussi au païen d'expliquer son infortune par l'erreur et par le péché : il avait peut-être négligé une divinité et provoqué sa colère !
Y a-t-il eu une dérive païenne vers le monothéisme, s'est-on souvent demandé? Des hymnes, des amulettes, des dédicaces gravées notamment sur les pierres précieuses, qui rendaient hommage à un seul dieu, ont été invoqués. Ce style d'invocation était devenu fréquent à partir du Ier siècle, en particulier dans le culte de Sérapis avec les formules «Unique Sérapis», «Heliosérapis», «Zeus Hélios Sérapis». Le dieu était ainsi honoré comme une divinité suprême à laquelle étaient subordonnées des divinités de moindre envergure. Il en était de même pour les cultes d'Artémis à Ephèse, d'Asclépios à Pergame et d'Isis tout particulièrement; dans «L'âne d'or», le roman d'Apulée, Lucius prend conscience, progressivement, qu'Isis est sa divinité protectrice ineffable et suprême, ce qu'elle ne lui révèle qu'au terme des péripéties, nombreuses, de leur relation. Tout cela, cependant, n'équivalait nullement à un monothéisme, car il n'excluait aucunement le culte rendu à d'autres dieux ; le dieu suprême n'empêchait pas l'adoration de ses subordonnés. La pluralité et la coexistence restèrent donc la marque des divinités païennes, depuis l'époque d'Homère jusqu'au règne de Constantin, même si des membres de la classe instruite exprimaient à leur égard un scepticisme auquel, pourtant, prévalait l'argument de la tradition. L'ancienneté des traditions était «un lieu commun récurrent de la littérature païenne, des orateurs d'Athènes de l'époque classique, au discours de Libanios «Au nom des temples», composé en 386. (Robin Lane Fox, Presses Universitaires du Mirail, p. 31).
Sans doute est-il difficile de traiter globalement du paganisme, car vaste et divers était le monde romain. Mieux vaut donc, en ce qui concerne l'Empire romain, aborder les cultes païens à l'échelle des provinces ou, même, à l'échelle des régions; et l'époque du IIe siècle, depuis la fin du règne d'Hadrien jusqu'à la fin de la dynastie des Sévères (de 138 à 235), semble la plus féconde en renseignements. Pour s'en tenir aux principes généraux, sachons que tout Romain, en naissant fils de citoyen ou en ayant reçu le droit de cité romaine, adhérait à la religion publique, avec le culte de Rome, et celui de la triade capitoline (Jupiter, Junon et Minerve) protectrice de l'Urbs, la Ville par excellence. La religion publique comprenait aussi le culte de certains empereurs défunts et divinisés, ainsi que la dévotion vouée aux dieux protecteurs de chaque cité. De leur côté, les cités pérégrines, qui n'avaient pas, ou pas encore obtenu le statut de municipe ou de colonie, jouissaient d'une autonomie religieuse presque sans limites. Elles avaient donc, elles aussi, comme celles qui bénéficiaient de ces statuts, leurs dieux, leurs prêtres et leurs traditions religieuses.
Les citoyens romains étaient aussi des pères de famille attentifs à l'observance quotidienne du culte domestique, à la vénération des dieux protecteurs de leur foyer ; aux âmes des ancêtres et aux esprits tutélaires de la famille, ce culte était rendu par le «pater familias» et sa descendance dans la chapelle du «Lararium», présente dans chaque maison. Selon leurs occupations, les citoyens participaient souvent aussi à d'autres cultes, ceux que célébraient les associations religieuses de leur profession, ou ceux qui avaient été introduits par les communautés étrangères de leur cité ; afin d'y expérimenter, éventuellement, d'autres formes de vie religieuse, comme celles des dieux orientaux ou des religions à mystères. Ainsi tout habitant de l'Empire, à l'exception des juifs et, plus tard, des chrétiens, professait plusieurs croyances; ce qui n'excluait nullement les recours aux services des prophètes et des charlatans, nombreux et divers, constamment établis dans chaque cité. Polythéistes et ritualistes, les religions du monde romain étaient aussi strictement communautaires, et chaque communauté y avait son panthéon propre. Mais ces païens, ces Grecs et ces Romains comme aussi, avant eux, les Egyptiens croyaient-ils, vraiment, en leurs dieux ? On connaît le scepticisme de la classe instruite. «Pour quiconque avait été éduqué conformément à la philosophie grecque classique, la foi est le plus bas degré de la connaissance… l'état d'esprit des gens sans éducation» (E. R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, 1965, p. 120-121). On sait aussi que sous toute orthodoxie se cachent, presque toujours, de nombreux incroyants. Mais il ne faut pas perdre de vue, pour autant, que l'histoire des religions est difficile et, comme dit Veyne, il ne faut pas être trop voltairien et il ne faut pas, non plus, avoir la foi du charbonnier.
Pour les Egyptiens, le Pharaon était à la fois un homme et un dieu ; un être humain que les dieux jugent après sa mort. Il devenait alors Osiris, mais son cadavre momifié était jugé par le même Osiris. De son vivant, il était visible, alors que les dieux sont invisibles ; il était mortel, alors que les dieux sont immortels et appartiennent, ontologiquement, à une autre échelle de la connaissance que celle des êtres et des objets réels. Veyne a relevé que les égyptologues ont pris de façon générale l'habitude de majorer la divinité du Pharaon, en retenant surtout les textes officiels et les formules liturgiques; alors que d'autres textes bémolisent ce culte, comme «Le conte du paysan», lequel montre un fellah qui, en demandant justice au Pharaon, lui rappelait en ces termes le devoir d'équité : «Tu n'as pas écouté ma plainte, j'irai donc me plaindre au dieu des morts.» Ce qui montre que les Egyptiens pouvaient tenir leur maître pour un être surhumain, divin même, avoir pour lui des sentiments immodérés de soumission et de vénération, mais qui n'en demeuraient pas moins distincts des sentiments qu'inspirait un dieu comme Osiris.
De même, les Romains «croyaient » à l'apothéose de l'empereur défunt, et des milliers d'inscriptions latines affirment qu'il a été déifié ; mais Veyne reprend une remarque révélatrice de Nock, qui avait noté que jamais aucun ex-voto n'a été adressé à aucun empereur. Aucun ex-voto de reconnaissance pour l'accomplissement d'un vœu n'est attesté, à l'adresse de l'empereur défunt, alors que des milliers d'inscriptions sont autant d'ex-voto adressés à une multitude de dieux. Lorsqu'un Romain avait besoin d'un dieu véritable, il ne s'adressait jamais aux empereurs divinisés, jamais à un être qui avait appartenu à son monde, qui aurait pu être visible à ses yeux, qui était mortel, alors que les dieux sont immortels et, généralement, invisibles aux humains ; les dieux appartiennent à un autre horizon ontologique. Le Romain pouvait donc éprouver pour l'empereur des sentiments très forts, mais qui ne le sont pas autant que ceux qu'éveille en lui l'idée d'un dieu immortel, d'un dieu véritable. Il pouvait tenir l'empereur pour un être surhumain, capable même d'accomplir des miracles ; mais si qualifier un mortel de divin est facile, le tenir pour un dieu est une autre affaire. De toute façon, l'empereur défunt ou le pharaon de son vivant étaient dieux parce qu'ils étaient ou avaient été souverains, et ils n'étaient pas souverains parce qu'ils étaient dieux. D'ailleurs, le passage des sentiments de dévotion à l'égard de l'empereur régnant, à sa divinisation et à son adoration, n'était permis qu'aux provinciaux. Dans la métropole romaine et en Italie, par contre, les empereurs refusaient, de leur vivant, le culte de leurs sujets italiens. Ce culte impérial, dans la province africaine par exemple, n'est attesté que par des vestiges architecturaux. Avec son aspect officiel et conventionnel, il dénote chez les notables des cités provinciales une humilité affectée envers le souverain, sans jamais correspondre à une croyance populaire.


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